79. Remise en marche

Mercredi 30 mai 1990

Me voici en dehors d’Issoire, je suis parti ce matin mercredi 30 mai, un peu tard car j’ai eu quelque mal à reprendre la route après une journée entière de repos. Le ciel est couvert, il ne fait donc pas trop chaud. Le chemin que j’emprunte longe l’autoroute jusqu’à Saint-Germain-Lembron pour s’en aller ensuite d’un autre côté.

En ce moment je me repose dans une vieille grange qui a servi de hangar pour y déposer toutes sortes de machines agricoles. Un vrai musée, qui ne me fait pas regretter l’officiel de la région que je n’ai pas visité, et dont j’ai pu lire la publicité tout le long des derniers kilomètres. J’ai là autour de moi quatre ou cinq spécimens de vieux outils mécaniques antédiluviens, ces appareils hirsutes tirés par deux chevaux, encore entiers bien que très dégingandés et rouillés : deux moissonneuses-lieuses dont j’ai eu beaucoup de mal à comprendre le fonctionnement avec leurs deux paires de roues perpendiculaires, le couteau à faucher le blé, les glissières pour amener les javelles et le volant pour les faire remonter sur le deuxième plateau-lieur de gerbes ; une vieille charrue à double soc toute en ferraille, un char très étroit sans roues mais encore habillé de ses lourds essieux, l’un fixe et l’autre mobile avec les deux bras de l’attelage, un semoir, une échelle … On pourrait reconstituer intégralement l’une des deux moissonneuses-lieuses, en les démontant complètement, et après un brossage et un graissage intensifs des leviers, poulies, rouleaux, chaînes de transmission, etc., qui composent ces curieuses machines.

Toute une enfance qui m’est revenue, du temps où j’allais faire les foins et les moissons chez les Sonney à La Combe près de Maracon (La Rogivue). Je montais à côté du conducteur sur les mêmes machines, maintenant mises au rancart au profit du tout puissant tracteur.

Ce serait une expérience assez extraordinaire que de remettre en marche une exploitation agricole ancestrale, comme au Banquet par exemple, après avoir dégagé les bancelles, remonté quelques murs, rouvert les vieux chemins et utilisé les outils et instruments aratoires d’une époque ressuscitée. Rien que pour le plaisir de revoir vivre un lopin de terre autrefois habité. Bien sûr un petit tracteur multifonctions serait l’idéal, mais un cheval, un bœuf ou un âne pourrait aussi bien faire l’affaire et ce serait plus folklo. Mais pour le débroussage, rien de mieux qu’un engin à moteur : ronces, genêts, bruyères et fougères, tout y passe …

Je parlerai tout à l’heure d’Issoire, vieille ville merveilleuse avec son église renommée, de style roman auvergnat des X, XI et XIIème siècles.

Je m’étais arrêté au premier hôtel venu, le Potomac, qui me parut plus de passe que de passage, mais enfin, j’y dormis bien. Fermé pendant le jour, je dus attendre 17 heures avant de pouvoir remonter dans ma chambre. Alors j’ai écrit mes cartes postales dans le jardin public près de la gare, un de ces jardins comme on n’en voit plus guère, aux bancs occupés par d’authentiques spécimens d’une société provinciale révolue.

C’est comme si quelques heureux retardataires continuaient à vivre en dehors de notre siècle, parfaitement étrangers à l’ambiance citadine contemporaine …

Bon, il me faut reprendre la route et quitter ce lieu de repos qui a l’air d’avoir servi à de nombreux vagabonds avant moi. Je peux voir encore la place où ils ont dormi, sur un peu de paille amassée et la planche sur laquelle ils ont magné, là où moi-même je me suis assis. Il y a là une boîte de conserve vide et deux ou trois petits livres de bandes dessinées … J’aurais pu moi aussi m’installer là pour une nuit ou deux, mais j’ai quand même préféré l’hôtel. Non, je ne pourrais pas vivre comme Christian, l’itinérant de Charlieu.

Il y a une grande inscription peinte sur le mur extérieur de cette vieille bâtisse en bordure de route : LARZAC AVANT TOUT, L’ARMÉE L’A DANS LE BOL, NON À L’EXODE OCCITAN. Je ne savais que le Larzac était si près d’ici.

Les champs sont encore à l’échelle humaine dans cette région. Deux ou trois hectares, par plus. De belles exploitations mais gérées probablement par une seule famille avec un ou deux ouvriers agricoles tout au plus : seigle, tournesol, prairie. Faibles collines permettant un labour aisé et quelques montagnettes plus abruptes plantées d’arbres. Dans les champs, encore quelques-unes de ces anciennes maisonnettes couvertes de tuiles, très basses ou parfois à étage : en bas le hangar ou l’écurie, en haut la grange ou la chambre d’habitation provisoire. On y laissait une machine agricole trop lourde à transporter ou l’animal de trait et peut-être le berger ou un gardien, l’été. De belles fermes, de loin en loin, souvent restaurées et l’ineffable hangar de tôle vulgaire.

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