Samedi 25 août 1990

Ce matin en me réveillant je me suis souvenu avoir rêvé de Gil et de Laurent tout petit au cours de la nuit, mais hélas aucun détail ne m’est resté. Je crois me rappeler cependant que nous nous étions disputés Gil et moi, mais pas de façon violente. Ce que je voulais savoir à ce moment-là c’était s’il lui arrivait encore de rêver de moi. Il faudra que je lui pose la question mais me répondra-t-elle franchement ? En fait je me suis demandé si j’aurais été content qu’elle me dise oui, ou non. Car il m’arrive encore parfois de rêver d’elle, mais elle, rêve-t-elle encore de moi ? C’est à partir de là que j’ai commencé à développer toute une théorie qu’il faudra que je précise et approfondisse quand je serai rentré à Paris car elle me paraît intéressante.

La femme – pensais-je, a un pouvoir d’oubli supérieur à l’homme. Elle peut décider d’oublier un événement, une souffrance, une déception ou un échec dont elle ne s’accommode plus, pas nécessairement consciemment, mais plutôt de tout son être (biologique) comme si elle participait à la vie de tout son être et pas seulement à celle de sa conscience. Loin de moi l’idée que la femme est incapable d’une réflexion consciente aussi claire et précise que celle de l’homme, mais l’homme semble pouvoir vivre alternativement consciemment et inconsciemment. Mais c’est une autre question. Ce que je voulais dire, c’est que la nature même de la femme est foncièrement différente de celle de l’homme. Elle est bien sûr de la même espèce mais elle est radicalement différente dans son comportement, même si de nos jours on a tendance à les confondre. Mais je ne veux pas non plus banaliser cette différence en la réduisant à la seule opposition sexuelle au risque d’énoncer une vérité de La Palice.

Ici je dois préciser que j’entends par sexualité l’ensemble des données biologiques constituant la vie dans tous ses aspects. Je lui donne donc un sens très large qui me permet dès lors d’affirmer que deux personnes de sexe opposé – l’homme et la femme en l’occurrence – sont foncièrement dissemblables … Et bien entendu complémentaires.

Il faut bien admettre après tout cette idée toute simple – réalité originelle – que la vie n’existe que si elle peut se perpétuer. Et pour se perpétuer sur notre terre la nature a imaginé un système dualiste de complémentarité consistant à concevoir une nouvelle créature à partir de deux éléments nécessaires et suffisants : le pollen et l’étamine, le sexe mâle et le sexe femelle, l’ovule et le spermatozoïde. À part quelques exceptions qui confirment la règle, toute la vie végétale et animale de notre planète se reproduit ainsi.

Pour en revenir à l’oubli, je crois que la femme participant davantage du/au monde que l’homme, car davantage imprégnée d’univers – cosmique, matériel, somatique – en rythme naturel (cycle lunaire), en manifestations sensibles (climatologie terrestre) voire même dans sa vocation maternelle spécifique à s’occuper du nouveau-né (attention, je ne dis pas qu’elle n’a QUE cette vocation, je ne fais que constater un phénomène naturel), pour toutes ces raisons la femme a peut-être moins besoin de passé et d’avenir que l’homme, je veux dire qu’elle a moins besoin de s’en préoccuper. S’appuyer sur son passé, y revenir, tenter de l’expliquer, ou se projeter dans un avenir à réaliser, prévoir un futur hypothétique, n’est-ce pas proprement masculin ? Le comportement d’un homme conquérant, entreprenant, qui ne peut s’empêcher de vouloir aller plus loin, d’acquérir plus de pouvoir, utilisant sa force pour y parvenir. La femme se situe davantage en attente, en présence, en participation, passive parfois (du moins au regard des hommes) mais constante, solide, stable. Elle a moins besoin donc de se référer au passé ni d’imaginer l’avenir. Non qu’elle soit dépourvue de mémoire ou d’imagination – c’est souvent le contraire – mais elle les emploie autrement, dans d’autres contextes et selon d’autres perspectives. Bien sûr, dans notre société occidentale désexuée – ou unisexuée – la différence ne se remarque que lors de subtiles enquêtes dont on ne tire d’ailleurs que de bien rudimentaires conclusions. C’est ainsi qu’on s’est aperçu que les femmes étaient susceptibles de meilleures mémoires d’analyse stricte, minutieuse et détaillée, qu’elles faisaient davantage preuve de patience et de sensibilité sensorielle dans des tâches scientifiques de recherche pratique ou technique dans la manipulation d’objets complexes. Par contre on ne découvre pas beaucoup d’historiennes ni d’archéologues qui aient émis d’intéressantes hypothèses anthropologiques, on ne rencontre pas beaucoup de femmes artistes, prospectrices ou visionnaires qui soient allées plus loin que l’homme dans la découverte. Pourquoi ?

Parce que ce n’est pas son rôle ni son besoin. Étant partie prenante au monde, y participant plus que l’homme, elle le connaît mieux. Elle n’a donc pas besoin de le découvrir. Mais elle s’occupera par contre de son déroulement quotidien, de son développement interne, de son évolution sensible. Sa préoccupation majeure était – avant l’avènement de notre société moderne – la vie de sa famille dans ses moindres aspects, essentiels mais aussi existentiels. Créatrice, procréatrice de vie, hormis la petite graine qui lui a été remise, c’est elle qui a fait tout le boulot. L’homme, lui, n’a qu’à se débrouiller pour lui apporter les moyens nécessaires à la perpétuation de la vie.

On aura beau se chercher de plus exaltants motifs d’existence, notre première fonction sur terre – vitale – est de perpétuer la vie, en l’améliorant si possible mais il faut d’abord la créer, qu’on le veuille ou non.

Comment alors deux natures si différentes peuvent-elles s’unir, se réunir ? Au-delà de la seule nécessité sexuelle procréatrice ? Comment un homme et une femme peuvent-ils vivre jusqu’à leur mort ensemble, partenaires complémentaires et différenciés ?

Si on se pose autant cette question, c’est peut-être que nous sommes arrivés au point de rupture de l’individu et de la société. Tandis que l’homme et la femme, en tant qu’individus, sont restés différents, ils sont devenus identiques – en droit – en tant que membres d’une société indifférenciée. La nature a maintenu depuis la nuit des temps les deux formes masculine et féminine de l’espèce humaine alors qu’elle a accepté voire provoqué l’évolution d’une société univoque. Ou bien l’homme est allé plus loin que les intentions naturelles, ou bien ne sait-il pas encore ce que la nature lui réserve, ce que l’évolution lui prépare.

Nous sommes à une époque où la femme a perdu une grande partie de sa spécificité propre, et il en est de même pour l’homme. Parce que notre société s’est homogénéisée et que de masculine elle est devenue … humaine tout simplement, à partir du moment où l’on a considéré que la femme devaient avoir les mêmes droits que les hommes (leur entrée en vigueur n’étant qu’une question de temps et d’habitude).

On pourrait se demander si la lutte des femmes pour obtenir ces droits est un fait de nature ou de société, de culture ; une redéfinition de la nature en évolution déterminante (aux fins non connues) ou une décision de créatures se sentant menacées.

L’emprise de l’homme sur le monde devenant trop grande, et sa nature conquérante dangereuse pour le maintien d’un certain équilibre naturel, un changement dans la répartition des forces, des rôles aussi peut-être, est en train de s’opérer entre l’homme et la femme, dont les conséquences pourront ne pas être que sociales. Pour l’heure, la femme ne fait que rattraper une situation désavantageuse pour elle, mais qu’adviendra-t-il quand elle aura la même place que l’homme – autant de fonctions, autant de responsabilité, autant d’influence – sur tous les plans, économiques, politiques, professionnel et autres ?

C’est peut-être que la nature a choisi cette tactique pour redonner à l’espèce humaine un peu plus de stabilité, de permanence, de pondération dans ses œuvres, afin de mieux se protéger de ses effets prédateurs. Comme on l’a vu, ces valeurs sont inhérentes à la femme plus qu’à l’homme. Ainsi le MLF n’aurait-il été que le déclenchement brouillon d’un processus nouveau de rééquilibrage à long terme de l’évolution humaine dans le cadre d’une nature globale au dessein clair – durer, survivre, reproduire à tout prix – mais aux moyens ambigus, secrets, inattendus.

Certes la libération de la femme et l’obtention de ses droits sont encore loin d’être réalisées universellement. Sans parler de ce qu’il reste à faire dans nos propres sociétés dites évoluées et démocratiques, les peuples africains et du Moyen-Orient, pour ne citer qu’eux, sont encore soumis au conservatisme de traditions ancestrales qui avantagent l’homme au dépens de la femme (voile, excision, etc.). N’en déplaise aux hommes qui s’acharnent à défendre des prérogatives d’un autre âge, la participation de la femme à la vie d’une société en mutation est irrémédiable …

Mais revenons à mon point de départ. À plusieurs reprises, je me suis aperçu en parlant à des amies de longue date qu’elles ne se souvenaient pas toujours de toutes les aventures qu’elles avaient eues avec des hommes au cours de leur vie. En ce qui me concerne, au moins deux d’entre elles ne savaient plus très bien si elles avaient fait l’amour ou non avec moi. Le disaient-elles pour rire où étaient-elles sincères ?

Bon, ça y est, à force de parler, je me suis complètement trompé de chemin. Heureusement que je m’en suis aperçu à temps. Mais voilà, je ne sais plus où j’en étais et j’ai perdu le fil de mon propos.

En fait, à l’issue de mes réflexions de ce matin, je me suis dit que j’aurais beaucoup aimé rencontrer une femme ayant justement développé ses spécificité propres tout en s’adaptant au monde moderne et susceptible de dépasser dans la communication inter-sexe (homme-femme) l’ambiguïté d’un langage différent sujet à confusion, voire à incompréhension totale. J’en ai bien sûr rencontré plusieurs qui tentaient de le faire. Mais ou bien elles se masculinisaient trop – pour mieux se défendre apparemment – et perdaient donc ce côté que j’aurais tendance à nommer romanesque, mais sans aucune ironie, bien au contraire, parce que ce terme représente pour moi quelque chose que nous avons oublié de vivre depuis quelques temps et que la femme seule a un peu conservé, mais en cachette, afin de mieux se soustraire à la malignité masculine qui sut si bien en profiter pour arriver à ses fins, celles d’une nature … consciente de ses devoirs de … reproduction !

Sans vouloir trop schématiser ni faire de généralités, beaucoup de jeunes femmes d’aujourd’hui qui cherchent à se réaliser en tant que femmes nouvelles dans une société nouvelle, qui ont réussi à se libérer de la sujétion masculine que leurs mères avaient trop acceptée, ont tendance à devenir hermaphrodites. Tout en conservant leur spécificité féminine – parfois mise sous le boisseau – elles acquièrent et développent certaines caractéristiques masculines. À l’inverse, l’homme lui ne le fait pas (ou pas encore ?).

Assisterons-nous à un renversement des rôles ou à une autre répartition des fonctions ? Que se passera-t-il par exemple quand de plus en plus de femmes accéderont aux postes professionnels encore très largement occupés par les hommes ? On assiste déjà à une inversion effective de certaines catégories de métier, dont les femmes s’acquittent mieux, comme l’électronique, la petite mécanique, la chimie et les manipulations en laboratoire, la gestion comptable et bibliophile, bref tout ce qui demande minutie, patience, délicatesse et régularité.

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