Dimanche 13 mai 1990
Cette profanation des tombes juives de Carpentras[1] : action destructrice sans discernement qui apparemment ne porte pas atteinte à la vie humaine quoiqu’il y ait des révoltes intérieures assimilables à des blessures. Mais les responsables ne sont-ils pas ceux qui ont laissé faire, qui ont laissé dire auparavant de telles monstruosités ? Le FN est un épiphénomène qui mourra un jour de ses excès et que personne ne suivra plus, pensais-je. Et bien, je me suis trompé. Je l’assimilais à un quelconque poujadisme et considérais ses succès électoraux sans lendemain. Je n’ai pas réagi, et d’autres avec moi, avec assez de violence et de persuasion contre l’intolérance, contre la montée du racisme. Nous étions pourtant tous prévenus de ce danger. Oui, mais personne ne veut y croire, chacun s’enferme dans sa bonne conscience et personne n’ose plus dire ce qu’il pense, de peur d’être contredit, ou moqué. On ne tient pas à être montré du doigt, à sortir du rang de cette majorité silencieuse qui refuse la polémique pour sauver son bien-être.
Chacun d’entre nous devrait s’armer d’un feutre épais et graphiter les affiches du FN, de l’extrême droite et Cie qui osent prétendre que leur combat est le bon alors qu’elles alimentent sournoisement la haine dure dans les cœurs mous, remplissent les têtes creuses d’idées inhumaines.
Nous devrions tous montrer, dire, écrire notre indignation, notre refus d’une telle exploitation mensongère, nous élever chaque fois que l’occasion se présente contre toute manifestation susceptible de ranimer l’intolérance, de rassurer l’ignorance, de conforter l’inculture, de propager de fausses vérités. Toutes ces caresses venimeuses qui excitent les bas morceaux de la nature humaine.
Alors que tant de progrès ont déjà été accomplis, tant de belles choses entreprises vers le haut… Il suffirait d’apporter de bons motifs, de bonnes envies, de bonnes idées à ceux qui n’en ont pas pour désarmer ceux qui n’en ont qu’une, fixe et malsaine. Que de responsabilités majeures les églises, partis, associations et services ont négligées, oubliées, trahies, alors qu’une signature péremptoire contre la bonne conscience aveugle eût été le meilleur moyen de maintenir éveillée la vigilance active des âmes probes.
Quel chemin encore à parcourir avant que la liberté de l’homme ne rejoigne son humanisme ! Le mal est peut-être minoritaire, mais violent et endémique, caché sous l’interdit. Que celui-ci se relâche et c’est l’épidémie. Où est donc l’ange gardien de la démocratie ? Un Saint-Michel protecteur et vengeur, l’arme pointée sur tout ce qui ment.
À la croisée de deux routes, sur ce haut plateau du Morvan, une stèle commémorative : «En souvenir d’un résistant mort à la tête de la section qu’il commandait …, septembre 1944». Un mois après la libération de Paris ! Ce monument m’a surpris : un seul homme, méconnu de presque tous. Pourtant les fleurs déposées à son pied témoignent encore d’un souvenir vivace. Un mort, caché derrière le temps de l’oubli, et reconnu, aimé de quelques-uns. Sa photographie céramisée affiche l’image d’un jeune homme aux yeux clairs, à la bouche déjà inquiète d’un avenir incertain. Que dirait-il maintenant, ce donneur de sang pour la patrie, à ce peuple, à ces lois, à cette politique, infidèles à sa foi ? Comment verrait-il ce néo-nazisme rampant, ce racisme renaissant et toutes ces profanations du souvenir ? A-t-il donné sa vie pour ça ? Comment jugerait-il à présent la futile mémoire de ceux qui avec lui sont restés, ce respect dérisoire mis en conserve pour la fête nationale du souvenir ?
Note
[1] Profanation de la sépulture de Félix Germon et de 34 autres tombes le 10 mai. Six ans d’enquête et des fausses pistes aboutissent finalement à la mise en cause d’un groupe néonazi. Quatre profanateurs seront condamnés à des peines de 20 à 24 mois de prison par le tribunal correctionnel de Marseille en avril 1997. (Ndlr)