Mercredi 11 juillet 1990

Qui retrouverai-je au château de Cahuzac ? Quelle bonne surprise m’attend ? Cette fête de Grand Meaulnes, je la voudrais pleine de rêves, de rires et de sourires, de choses inattendues, de joyeuse amitié, de douces connivences… Je retrouverai le monde, du monde, des mondes, oubliés, proches ou lointains…

Les femmes m’ont matériellement appauvri et spirituellement enrichi. Les trois biens immobiliers que j’avais acquis l’ont été pour ma famille, en tant que lieu d’ancrage et de perpétuation. La première propriété était en Nouvelle-Calédonie, à Yawé, une vieille maison coloniale de bois et de tôle avec un bout de terre au bord d’un ruisseau. Nous ne l’avons pas gardée longtemps, Gil ayant décidé de rentrer prématurément en métropole. Je l’ai donc revendue, ce ne fut pas une bonne affaire. Aujourd’hui cette parcelle vaudrait une fortune.

La deuxième maison est l’Or de la Forge à La Courcelle, achetée pour y installer nos malles à souvenirs, nos objets de familles et, pensais-je, nos vieux jours. Une maison presque natale pour nos enfants sans patrie. Elle existe toujours, je n’y suis guère accepté.

Tout ce que nous avons acquis ensemble est là, nos livres chers, nos tableaux, nos cadeaux, nos regrets et beaucoup de nos joies. Je n’y suis plus chez moi, je ne me sens plus chez eux. La troisième acquisition fut un vaste appartement de 170 m2 au 8ème étage d’un immeuble génois classé, près du vieux port de Bastia. Copropriétaire d’un sujet de discorde, je l’ai laissé au partenaire désaimé. J’y perds encore un peu de douce villégiature…

N’avoir plus rien, ne plus avoir encore quelque chose. Ces aventures immobilières m’ont peu à peu détaché du sens de la propriété foncière. Mais il m’arrive de rêver souvent à un lieu qui m’appartiendrait en propre, une maison, un château, que j’aurais pour moi seul, non pour l’avoir mais pour l’être. Pour pouvoir en faire ce que je veux, en toute liberté, sans divergences, conjugale, familiale ou autre. Pas besoin d’en être propriétaire en titre, il suffirait que j’en sois locataire temporaire avec l’autorisation de l’arranger, la restaurer, la décorer et l’habiter à mon idée. Hum ! Serais-je prêt à occuper, entretenir, réparer et améliorer une maison ne m’appartenant pas ? Avec le seul privilège d’en être l’unique occupant ? Si c’est jusqu’à la fin de mes jours, tout en n’y habitant pas constamment, peut-être. Avoir un lieu où revenir, un endroit d’où repartir.

Dépendant d’une appropriation d’autrui, d’un accueil ; invité et accepté mais toujours soumis à l’humeur, au bon vouloir, à l’hospitalité de l’hôte, sujet de malentendus, de non-dits, avec cette impression d’être de trop, ou pas assez… Je me sens maintenant obligé de renoncer à ce genre d’associations boiteuses.

Il est bien dommage que l’Or de la Forge ne soit pas devenu un lieu plus ouvert, aux parents, aux amis, aux amis des amis. Dommage qu’il ne soit plus que le creuset d’un passé révolu surchargé de trop lourds souvenirs, et l’abri d’un présent qui ne sert presque plus à personne.

Une maison est certes une barrière de défense, une frontière, un patrimoine où l’on se sent protégé de l’extérieur, mais c’est aussi une porte et des fenêtres ouvertes sur le monde, sur le grand air du large, accessibles au lointain voyageur, à l’ami pèlerin, au voleur de confort, au fils prodigue, bref à tous ces exilés nomades partis pour revenir et trouver hors d’eux-mêmes ce qu’ils n’ont pu garder, ce qu’ils ont cru donner. Être, l’instant d’un sourire, un homme sédentaire.

Partager cette page Share