74. Odeurs et tempéraments

Lundi 28 mai 1990

C’est quoi les odeurs ? On peut penser qu’elles n’existent que pour l’homme qui les juge agréables ou désagréables. Ne font-ils pas tout ce qu’ils peuvent pour ne pas sentir la merde ? S’ils fabriquent des parfums, c’est bien qu’ils recherchent les bonnes odeurs.

Les odeurs jouent certainement un rôle dans la lutte pour la vie, prolifération d’espèces, buissonnement de familles, toutes différentes mais possédant le même instinct vital : s’alimenter pour survivre et procréer. Or, afin de faciliter leur tâche, la nature les a dotées d’un sens olfactif déterminant. Ainsi certaines plantes se regroupent dans le même système biologique (écosystèmes et microclimats) par affinité, d’odeurs peut-être. Une bonne odeur ne favorise-t-elle pas la bonne compagnie ? Et toutes ces bonnes odeurs de fleurs, d’herbes séchées, de foin coupé ne joueraient-elles pas un rôle dans le choix alimentaire des animaux ? Si les odeurs servent à nous regrouper, à nous affilier, elles servent aussi à nous différencier, à nous exclure, à nous défendre. Il y a les odeurs qu’on aime, celles qu’on supporte, et celles qu’on déteste. On a longtemps cru que le racisme était une réaction naturelle à la différence d’espèce, de race. D’où l’expression «je ne peux pas le sentir», attachée à l’odeur de sa peau, perceptible à distance. En effet, l’odeur de transpiration d’un blanc n’est pas la même que celle d’un jaune ou d’un noir, et parfois difficilement supportable quand elle ne correspond pas à notre couleur. Mais la théorie des races n’a plus guère de fondement scientifique de nos jours. Aussi ne peut-on plus justifier les antagonismes par la simple raison d’une différence de peau. Si toutefois l’homme civilisé a pu compléter sa nature primaire par des éléments de culture plus sophistiqués, qu’en est-il des animaux, et de ceux d’entre nous qui ne s’en sont pas beaucoup écartés ? Voyez le putois, il projette une odeur nauséabonde pour se protéger et peut-être n’aimons-nous pas l’odeur d’œuf pourri parce qu’elle signale un embryon mort. Entre humains, il y a des odeurs partagées et d’autres repoussantes. L’intime odeur naturelle d’un corps masculin peut attirer le sens olfactif d’un corps féminin ou au contraire l’écarter, et vice versa. Mais nous avons tué la plupart de nos odeurs et nous nous affublons d’odeurs artificielles dépersonnalisant notre propre nature, incapable dès lors de trouver aisément le partenaire ad hoc. Qui sait si en fin de compte le nombre de divorces n’est pas dû au fait que nous avons tout simplement éliminé l’odeur de nos critères de sélection au profit de paramètres culturels, plus difficiles à conjuguer. L’odeur, à notre insu, ne jouerait-elle pas un rôle plus important qu’on l’a cru jusqu’ici ? Ce qui rejetterait hélas notre libre arbitre encore plus loin de notre destin !

Une agence matrimoniale sérieuse devrait, pour commencer, s’informatiser et faire subir à chaque demandeur un test très poussé à l’aide des moyens les plus sophistiqués que la technique met de nos jours à notre disposition. Ainsi serait déterminé avec grande précision le type physico-chimique, psychosomatique de nos odeurs préférées ou détestées, de notre morphologie particulière, de notre profil caractérologique du moment, résultat de nos réponses non seulement fruits de notre réflexion mais également effets spontanés de nos impulsions inconscientes. Un tel dossier, très complet, permettrait ensuite une rapide comparaison avec d’autres dossiers compatibles et si l’étude était parfaitement exhaustive, on ne devrait aboutir qu’à un seul exemplaire parfaitement adéquat parmi tous les cas étudiés. Encore faudrait-il que soient portées les hypothèses de transformation, d’évolution du tempérament, établies en fonction d’analyses très fines des réponses présentées dans plusieurs ordres différents. Les premières études de caractère faisaient une différence essentielle entre tempérament et caractère et divisaient les personnalités en quatre groupes différents : nerveux, sanguins, lymphatiques et bileux. Le tempérament correspondait en quelque sorte à notre potentiel de départ, l’héritage génétique, et le caractère correspondait à l’acquis bio-culturel ultérieur. Ces divisions simplistes ont été abandonnées au profit d’analyses plus complexes et un classement plus diversifié (cf. Traité de caractérologie de René Le Senne).

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