Mercredi 2 mai 1990

Je suis sur la route d’Étiolles à la sortie de la Forêt de Sénart. J’ai dormi chez un ingénieur que j’ai rencontré hier assez tard au moment où j’allais m’arrêter pour planter ma tente. Il m’a gentiment invité chez lui pour camper sur sa pelouse. Ses deux filles ont préparé à manger, leur mère était en voyage. J’ai pu prendre un bon bain dont j’avais grand besoin, mes épaules étaient en pleine déconfiture. J’étais très fatigué ; en fait j’avais fait 35 km, beaucoup plus que mon podomètre ne l’indiquait, je compris alors pourquoi j’étais fourbu et j’ai passé une très bonne nuit sur le gazon, dans cette tente igloo que je remontais pour la première fois depuis… bien des années, lorsque je faisais le GR 20, en Corse, en 1985.

Ce matin, je me suis levé un peu tard et j’avais tant de choses à ranger. Hier soir, je ne pensais qu’à une chose : dormir au plus vite car ce soir je suis attendu à 25 km d’ici, à peu près là où je comptais m’arrêter pour ma deuxième étape.

Ce voyage s’annonce donc très bien. Contre toute attente, alors que beaucoup de monde passait dans les allées forestières à pied ou à bicyclette, mon ingénieur marié, père de quatre enfants dont l’épouse avait déjà fait deux séjours à Saint-Jacques-de-Compostelle, se fit lui-même plaisir en recevant un pèlerin à la sortie de Paris. Il me dit en partant : «C’est toujours une joie de voir passer des pèlerins de Compostelle et ça porte bonheur, c’est comme les hirondelles au printemps.»

Je viens de m’apercevoir que je n’ai plus de bourdon. J’ai dû l’oublier au dernier carrefour où je me suis arrêté ce matin. Ça m’ennuie car c’était une jolie canne tressée que m’avait offerte un indien caraïbe de l’île Dominique. Et bien voilà, je ne l’ai plus, peut-être n’en avais-je pas vraiment besoin. C’est dommage, je l’aimais bien, j’aurais dû la laisser à la maison et ne me servir que d’un bâton coupé dans un noisetier. Toutes choses se perdent en vie.

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