6. Perthes-en-Gâtinais

Mercredi 2 mai 1990

Je suis à l’entrée de Perthes-en-Gâtinais. Ah, ces villages qu’un écriteau annonce des centaines et des centaines de mètres avant ! Il me faudra faire encore un km avant d’atteindre le centre. Comme il y a de plus en plus de nouveaux quartiers qui se construisent à la périphérie, quand on aborde les villas neuves, on peut être certain d’être encore très loin de la poste ou de la mairie.

J’en suis venu à compter les numéros des maisons mais comme leurs entrées sont le plus souvent de l’autre côté, ça n’avance pas très vite, il y a de longues distances sans numéros. Voici tout de même le centre ; hélas le seul bistrot du carrefour est fermé. Merde…

C’est peut-être ça la méditation orientale, le vide absolu, quand on est bien fatigué, marchant comme un automate, regardant par terre sans rien voir, laissant aller ses jambes l’une après l’autre sans les sentir, avec une espèce de poids lourd sur les épaules qui pourrait aussi bien être la colère du ciel qui se retient de tomber sur notre tête ou l’intensité de l’atmosphère noire d’un jour mourant. Bref on ne pense plus à rien, mais alors à rien du tout ! Et pourtant, si : tout à l’heure je me voyais attablé au comptoir d’un bistrot devant un diabolo-menthe. L’image de ma pensée était fixe comme une idée. Je me souviens avoir été très impressionné par les méditations bouddhistes quand j’étais en Inde et cette possibilité, parait-il, d’aboutir au néant en s’obligeant à ne penser à rien. Je comprends maintenant pourquoi ça leur était beaucoup plus facile qu’à moi, dans ce pays de misères : mes méditants n’avaient rien à bouffer, ils étaient toujours un peu fatigués, souvent assis et endormis, en demi catalepsie. Bien sûr, leurs pensées n’avaient aucune chance d’affleurer leur cerveau. Tandis que pour nous, occidentaux, ce n’est pas si facile. Si là, maintenant, je décidais de faire le vide, je me mettrais aussitôt à bâtir une théorie sur quelque idée me passant par la tête, sans pouvoir l’arrêter, ne pensant même pas que je suis en train de penser. Je préfère pour l’instant me baigner dans cette torpeur confortable, ce vide douillet que seul le soleil remplit de ses derniers rayons rougissant les crêtes de colza fleuri. À gauche, à l’ombre, le blé en herbe est assombri, il doit avoir de noires pensées. Tandis que colza et moi sommes encore tout réjouis.

Des voitures passent, me faisant parfois de petits signes de condescendance ou d’encouragement, sans qu’aucune ne s’arrête. C’est bien, car si elles le faisaient, je serais obligé d’y monter et ma foi, ce serait ma première entorse à ma sacrée décision. Une péniche, à la rigueur, je la prendrais, plus loin, si l’occasion se présentait, sur le Loing. Pour l’heure il me reste 3 km à marcher. Dieu que c’est long !

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