7. Fleury-en-Bière

Mercredi 2 mai 1990

Fleury-en-Bière. Ce n’est guère fleuri et je suis presqu’en bière ! Si je mettais les pieds dans une marmite après une journée de marche comme celle-là, je crois que je ferais monter la température de 10°. Il n’y a rien de meilleur en tout cas que de les rafraîchir à l’eau d’une fontaine publique. Il en reste encore quelques-unes dans ces villages sans bistrot. Malheureusement ce sentiment de douce fraîcheur ne subsiste guère une fois chaussettes et chaussures remises sur pied.

Ce pré parsemé de pâquerettes est bien tentant. J’y promène mes pieds nus mais je n’ose m’y étendre, car je crois que je m’y endormirais sur le champ. Or il me reste encore deux petits kilomètres à faire. Ce n’est pas la mer à boire mais après en avoir fait une trentaine dans la même journée avec un sac de 15 kg sur le dos !

Je me suis assis pour remettre mes souliers, pourrai-je me relever ? La dernière halte de la journée s’achève, avant l’accueil triomphant du pèlerin repentant… Ouais, les amis de mon ami d’Étiolles doivent s’impatienter en se demandant peut-être s’ils ont bien fait d’accepter son idée saugrenue d’accueillir pour la nuit un homme qu’ils ne connaissent pas. Pour l’instant, le problème numéro un est de se relever. Allons, une main par terre, une demi rotation du torse pour se mettre à genoux, un pied contre terre, les deux mains sur un genou et han ! Heu heu ! (toussotements macabres), me voilà debout. Problème numéro deux : le sac. L’astuce est de trouver un endroit pour le poser qui soit à ma portée quand je suis debout – afin que je n’aie pas à me baisser pour le prendre et me rétablir avec lui. Ici, la borne fontaine est toute indiquée, ailleurs ce peut être une boîte compteur EDF en plastique à l’extérieur d’une villa, ou un panneau indicateur, mais l’une est trop basse et l’autre trop haut. Difficile de trouver la bonne mesure, l’escalier est parfait, mais on n’en trouve pas toujours, même en esprit. Cette fois, ce ne sera pas trop difficile. Le tout c’est de retrouver la seconde bretelle, mais où donc est-elle passée ? Ah, bien sûr, quel idiot, j’ai mis mon bras droit dans celle de gauche ! Bon, enfin, ça y est, léger rétablissement des reins et me voilà debout, chancelant mais debout. Hélas, je devrai quand même me baisser puis me relever avec ma charge sur le dos car en buvant une dernière gorgée d’eau à la fontaine basse, tout ce que j’avais mis dans mes poches de chemise est tombé par terre.

Il y a un superbe château à Fleury-en-Bière : haute façade d’une dizaine de mètres, pierres, briques et fioritures, deux corps de bâtiment de part et d’autre, une entrée principale sous porche et tout au fond le château, lointain, grandiose. «Propriété privée, défense d’entrer», mais la porte est ouverte.

Il se fait tard. Une dame ferme ses volets.

Je n’avais jamais vu de glycines fleuries de diverses couleurs en même temps. Et des lilas, et… qu’est-ce donc ? Des pommiers en fleurs, déjà ? Ça m’en a tout l’heur ! Et toujours des champs de colza à perte de vue.

Les chiens enfin n’aboient plus, je suis en rase campagne, mais quel concert tout à l’heure ! Qu’ils sont mal élevés, ces chiens ! Ne devraient-ils pas n’aboyer que lorsqu’on s’approche ostensiblement d’eux ? Pourquoi s’époumonent-ils donc tant (cépoumonetildonquetan, cf. Queneau) contre les passants ? Aussi cons que leurs maîtres !

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