10. La Madeleine

Vendredi 4 mai 1990

La Madeleine, un petit village bien net et sa chapelle ouverte où je peux reposer au frais mon corps endolori. Dans le chœur, derrière l’autel et ses quatre chandeliers, un tableau représentant une table sur laquelle repose une bible. Un autre entre deux vitraux non colorés à gauche, contre une paroi dotée d’alcôves, montre quelqu’un tenant quelque chose, mais à droite il s’agit bien de la vierge Marie et de son petit Jésus, qu’elle tient par dessous ses deux petites fesses (celles de Jésus) dans une niche. Il y a non loin de là deux radiateurs à gaz montés sur bouteille. À l’entrée un joli baptistère. Le plafond est plat, à poutres apparentes. Plus une croix, une stèle de pierre nue avec une inscription illisible : on n’y déchiffre que des coups de burins intempestifs brisant net la compréhension délicate d’un texte palimpseste latin dont il ne reste que quelques mots épars : Damoiseau … Mollins … Alt … dices …. vigansat … Rhemy … doctore … Piètre paléographe je suis !

Dans le livre de prières ouvert de la paroisse du diocèse de Meaux je lis, page 616 : Béatitudes

Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux car ils posséderont la terre.
Heureux les affligés car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde.
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés par la justice, car le royaume des cieux est à eux.

Réjouissez-vous, exultez, car votre récompense est grande dans les cieux.

Ce dernier vers ne fait pas partie des Béatitudes… Ma récompense dans les cieux, oui, peut-être… Et sur terre ?

À l’entrée de la chapelle il y a un banc de pierre à l’ombre, je m’y suis assis. J’ai bien fait de garder les petites pâtes, elles sont délicieuses, cuites sur mon réchaud sous le banc à l’abri du vent, avec deux cubes Knorr ou Maggi. Ce sera mon repas de midi.

Un facteur en vadrouille vient de me dire que le petit chemin qui part sur le côté descend jusqu’au Loing et le longe vers le prochain village où je pourrai le traverser pour éviter Montargis et passer plus à l’Est (chants d’oiseaux). J’ai perdu beaucoup de temps ce matin mais j’en gagnerai peut-être cet après-midi.

Tout à l’heure il semblait n’y avoir âme qui vive dans ce village endormi sous le soleil de midi, à part les deux vieux qui mangeaient dans leur cuisine ouverte de cette petite villa toute simple et mignonne où le facteur s’est arrêté avec sa jaune 2 CV. L’infirme de mari est sorti à petits pas escomptés pour aller quérir son pain quotidien à la porte de son jardin… «Une balle en pleine tête, un soir de révolution, en traversant la rue», ne serait-ce pas mieux pour lui que cette attente malheureuse ?

Et puis, tout à coup, des gens partout (cris et rires d’enfants). Des gosses à la queue leu leu se dirigeant vers l’école-mairie, peu à pied, la plupart en voiture. Plus de cartable sur le dos et de tablier noir, non. Tous bigarrés descendant de la voiture de papa conduite par maman, laissant le petit frère repartir se baigner dans le Loing avec ces dames de l’après-midi.

Hier soir à Nemours je suis allé me promener du côté du pont et de la cathédrale. J’ai sonné à la porte du Prieuré, il était 9 heures passées, personne ne m’a répondu. Alors j’ai continué mon chemin – du Prieuré – jusqu’au Loing, dans ce vieux quartier de Nemours si pittoresque avec son ancien château et je suis revenu par une autre rue, aussi déserte que les autres jusqu’à mon hôtel que j’ai failli ne pas retrouver.

J’ai vraiment bien dormi quoique ce matin j’avais encore sommeil quand je me suis réveillé. Mais à 6 heures, j’étais debout. À 8 heures, j’étais à la poste pour acheter un emballage de colis que j’ai bourré de surplus pesants, de retour à l’hôtel. Il me fallut tout de même garder ma longue chemise verte et mon paquet de nouilles qui refusaient de me quitter. Je retournai à la poste et continuai mon chemin, qui hélas m’empêcha de suivre le Loing comme j’en avais l’intention, aucun pont ne s’offrant à moi pour le traverser. J’aurais dû passer tout de suite de l’autre côté, trop tard, j’avais déjà fait 1 ou 2 km depuis le dernier pont. Pour rejoindre la départementale et le village de La Madeleine où je me trouve en ce moment, il m’a fallu enjamber deux barrières, traverser une voie ferrée et sauter un fossé. Banals déboires du pèlerin distrait.

Le tilleul de la cour d’école a vraiment été coupé de façon très inesthétique, mais grâce à ce manque de goût il couvre de son ombre presque toute la cour où les enfants à la récréation crient, criaillent et se chamaillent en riant. Il n’est pas encore deux heures, ils sont venus en avance, s’ennuyant peut-être chez eux ou préférant jouer ici, dans ce préau à leur mesure. Mais tout soudain les voilà en rang sous le regard faussement sévère du maître en blue-jeans et tee-shirt rose qui engueule les deux premiers pour quelque motif «fallacitoire» ponctuant son «rien dans la tête» de coups de doigt répétés sur les deux cabosses penaudes, en contrebas.

À peine entrés, plus de bruit, plus personne, le village a rabattu le couvercle de sa sieste interrompue. Nos élèves écoutent d’une oreille un peu d’histoire ou de géographie et de l’autre les oiseaux leur chantant un air de liberté. C’est une vraie journée d’été, sans nuage ni remords, juste un peu de brume à l’horizon.

Dans le jardin mitoyen de la villa retraitée, il y a une tente d’indiens identique à celle de mes enfants quand ils étaient petits. Elle se cache sous deux pins, entre un pommier et un cerisier. Un paysan mécanicien a tout de même sorti son mini-tracteur du garage, un tracteur comme je voudrais en avoir un pour débroussailler les anciens chemins perdus de la commune de Gabriac, côté Banquet. Peut-être n’est-il pas tout à fait assez puissant, car il me faudrait aussi pouvoir y ajouter un râteau-pelle niveleur et une remorque de bon calibre. Celui-ci est un Kubota diesel orange, je me renseignerai ; l’idéal serait un engin capable de retracer un chemin, «débrousser» de vieille friches solidement enracinées, faucher, faire des trous ou de petites tranchées et traîner une charge derrière lui. Je m’étonne de ne pas encore avoir vu de publicité pour ce type d’engin polyvalent.

La cabine téléphonique que je croyais obsolète fonctionne : une jeune femme sortie de sa voiture y est entrée pour prévenir son mari qu’elle arriverait en retard pour le déjeuner, du moins je le suppose. Il est 14h15. Plus loin, deux mères à poussette avec parasol et bébé ne se dirigent pas vers la rivière comme celle qui y amène son chien. Finalement ce village n’est pas aussi endormi que ça ; mais il vit lentement, doucement, de quart d’heure en quart d’heure. Une agglomération de paix. Paris est loin maintenant.

J’allais oublier le monument aux morts, sur la place, aux champs d’honneur de 14-18 (15 morts) et de 39-45 (1 mort).

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