12. Bois-le-Roi

Samedi 5 mai 1990

Un joli bourg, ce matin au lever du soleil, une rue de vieux quartier encore désert, le couvent, l’église romane, la mairie, l’esplanade où quelques pêcheurs s’apprêtent à rejoindre leur lieu préféré. Un beau matin encore frais, sur le sentier qui m’attend en forêt.

Si je peux éviter Montargis, j’arriverai à Château-Renard ce soir. J’ai passé une mauvaise nuit, remplie de mauvais rêves :

Je me promenais sans culotte, très gêné, des gens me regardaient sans pourtant afficher un air trop choqué, j’essayais de rejoindre des amis… des champs, d’autres lieux étranges, et une femme, toute nue, aux joues roses comme sur le tableau aperçu dans la petite chapelle d’hier, ou comme la patronne italienne du camping, mais je dus la laisser entre les mains de geôliers invisibles. Je cherchais un ami qui ne se montrait pas. Finalement on s’est tous retrouvés, lui, elle et moi. Ils étaient arrivés bien avant moi alors que je croyais être le premier à les attendre. On a quand même bien voulu me donner une couverture pour me couvrir. Je ne sais pas où j’allais ni d’où je venais, apparemment j’étais perdu.

Ce matin, avant même de me souvenir de mon rêve, en me réveillant, j’ai cherché désespérément mon slip dans mon sac de couchage… Je l’avais enlevé au cours de la nuit car il me gênait, mais comme j’avais froid ce matin à l’aube, j’ai voulu le remettre, m’énervant à le chercher, me demandant où j’avais bien pu le laisser. Et c’est à ce moment-là que je me suis souvenu de mon rêve, et de cette mauvaise nuit passée à me tourner et retourner dans tous les sens, pour trouver une position qui m’eût permis d’oublier un peu mes membres endoloris. Je n’ai pas été inspiré en plantant ma tente juste en dessous de ce marronnier.

Pour me consoler et me réchauffer, j’ai préparé mon café à l’intérieur de la tente, un peu inquiet à l’idée d’un éventuel incendie. J’attendrai le prochain bistrot pour prendre un vrai petit déjeuner.

Voici le soleil, encore une belle journée en perspective après la fraîche rosée de la nuit. Ce ne sont pour l’instant que de pâles rayons tièdes, aussi ai-je gardé mon blouson-jean par-dessus mon tee-shirt vert ; j’ai tout juste assez chaud. Un lièvre vient de traverser le chemin…

Une bonne trentaine de pêcheurs à la ligne, tous alignés en rang d’oignons le long de la rivière, sur à peine 200 mètres, sous les saules pleureurs, avec leur canne à pêche bien tranquille. «Ah voilà une belle truite.» – «Ah oui, c’est une belle !» – C’est le coin ici.» – «Ah oui, c’est le coin à truites, hé hé !» – «Il y en a beaucoup par ici ?» – «Oh non, pas tant.» – «Vous arrivez quand même à en attraper quelques-unes. Mais dites-moi, quel est le nom de cette rivière ?» – «La Cérée.» – «Je peux rejoindre Bois-le-Roi par-là ?» – «Oui, vous allez tout droit, Bois-le-Roi est juste en dessous.» – «Merci bien.» – «A votre service.»

Et voici la limite de pêche autorisée au-delà de laquelle il n’y a plus un seul pêcheur. Le temps de passer dans la zone prescrite, j’ai vu ferrer 4 ou 5 truites. Chacun semblait attendre son tour comme à la pêche miraculeuse d’une fête foraine, pensant par-devers soi, quand un voisin en attrapait une : «Zut, c’est pas moi, à quand mon tour ?»

De l’autre côté du pont, il y a le même nombre de voitures en stationnement que de pêcheurs.

Et me voici à Bois-le-Roi. Si tous les chemins de Compostelle étaient comme celui-ci, je ne m’en plaindrais pas.

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