13. Griselles

Samedi 5 mai 1990

Après un bon petit déjeuner pris à Griselles, me voici sur la route de Courtenay. N’allez pas croire que je vais vous raconter comme ça tout le long de mon voyage les petites histoires de ma vie quotidienne et toutes mes observations bénignes, non, non, je l’ai fait jusqu’ici pour vous mettre dans l’ambiance sur le plan concret et direct de ma vie de marcheur, mais à présent je m’arrête de bavarder. Je donnerai juste ce qu’il faut d’indications géographiques sur les lieux que je traverse, les endroits où je m’arrête et quelques relations historiques importantes à signaler. Pour le reste je me mettrai à l’écoute d’une méditation intérieure qui jusqu’à présent n’était qu’extérieure, mais comme je vais mieux physiquement – mon corps étant moins rappelé à l’ordre – je vais pouvoir faire aller plus librement mes pensées, ce qui ne veut pas dire que je les exprimerai toutes à haute voix (bruit de voitures).

Lorsque certaines (pensées) seront dignes d’intérêt, peut-être les fixerai-je sur mon dictaphone. Mais il faut d’abord me mettre à l’unisson de la nature environnante, du ciel au-dessus de ma tête – qui n’a pas l’air de vouloir me tomber dessus – et de l’air, de l’espace, de la liberté, de la paix, de cette joie de vivre, en dehors des émerveillements continus – cette pousse d’herbe par exemple, – tout ce que je veux au moment où je le veux, entre les limites d’une grande sérénité simple et naturelle.

Mieux qu’un moine en cellule, je suis prisonnier du plus vaste horizon circulaire, tout autour de ses champs rayonnants, et que dis-je, percevant l’infini. Amené à des kilomètres et des kilomètres de distance vers un lieu que j’ai choisi comme but de mon pèlerinage, l’important n’est pas mes méditations intérieures qui se limitent somme toute à bien peu de chose. Rien à penser, tout à aimer.

Les gens se croient obligés de parler pour affirmer leur présence – comme moi-même devant ce micro, mais je pourrais tout aussi bien me taire et ne penser qu’en silence à tous ceux que j’aime, mes trois fils, une épouse, et tant d’amis.

J’ai déjà deux petits-fils, de nombreux petits neveux et nièces, quelques cousins, liens de famille dont je vois le présent s’acheminer vers l’avenir d’une autre génération. Leur avenir à eux et non le mien. Il m’importe plus de les savoir heureux, de les voir grandir, se réaliser peu à peu et atteindre leurs objectifs, leurs vœux, leurs rêves, leurs ambitions. Les savoir se réaliser par toutes les expériences que la vie leur fournira, les mauvaises pour progresser, gardant les bonnes pour les souvenirs à raconter et les joies à pousser devant soi, en pensant qu’après tout, on est arrivé un peu plus loin.

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