Lundi 7 mai 1990

Eh bien, ce bar-restaurant de Levis ouvert 7 jours sur 7 était parfait. Au bar une jeune femme de Paris ayant travaillé à Rungis l’an dernier, avec un tatouage sur le bras gauche. Elle m’a parlé un peu des gens d’ici ; racistes, anti-arabes, et de la bonne – pas si bonne que ça – femme «Céfermé» de tout à l’heure. «Son italien la tient serrée, mais elle est comme ça avec tout le monde, elle ne fera même pas un sandwich alors que la charcuterie est en face et qu’elle a un dépôt de pain. Elle a laissé tomber le tabac. On se demande ce qu’elle fait».

Curieusement, à seulement 1 km de distance, Levis est très différent de Fontenoy. Les gens sont sympathiques, affables. L’un d’eux m’a dit qu’à Druyes-les-Belles-Fontaines où je m’arrêterai peut-être ce soir il y a un vieux château où Jeanne d’Arc aurait dormi. Il a travaillé à sa restauration (celle du château) il y a quelque temps. De là-haut on a une magnifique vue sur la région, le village et ses fontaines, paraît-il.

Il est 10 heures mais il fait encore froid car le ciel est nuageux. Hier soir et dans la nuit il y eut plusieurs orages locaux. Et quelqu’un venant du Lot-et-Garonne me dit qu’il avait plu tout le long des 400 km qu’il avait parcourus. Or ici pas une goutte d’eau. Il y en a qui doivent être contents, et d’autres très jaloux.

Auparavant les vitesses évoluaient entre la marche à pied, 4 à 5 km/h, et le train, 30 à 40 km/h, train de campagne s’entend. La vitesse intermédiaire : le cheval ou le bœuf de labour et encore, quand il traînait une charrue derrière lui, il n’allait pas aussi vite qu’un homme à pied. De nos jours les vitesses extrêmes sont le piétonnement, peu utilisé et la voiture, avec la bicyclette entre les deux quelquefois. Et pour garder un rythme plus conforme à l’environnement, le tracteur remplace désormais l’ancien attelage animal. À ce compte-là, les campagnards semblent tiraillés entre deux vitesses de pointe, celle tranquille des saisons et des allures végétales de nos vieilles provinces et celle nettement plus rapide de leurs courses inter-villes. La voiture est devenue l’objet, le jouet, le gadget indispensable pour aller acheter un paquet de cigarettes oublié, conduire grand-mère chez le vétérinaire ou accompagner Marguerite au bal.

Chaque village a son église, sa mairie, sa poste et son école. Fermées souvent.

Le car scolaire a eu raison de la petite école à classe unique. Le facteur vient une fois par semaine relever lettres et chèques postaux, le maire reçoit chez lui et le curé n’ouvre son confessionnal qu’une fois par mois. Un pèlerin comme moi ne peut même plus s’y abriter. Dans les deux villages précédents que je viens de traverser, les deux églises étaient fermées, et leur clef je ne sais en quelle main soupçonneuse.

L’Yonne n’est pas le département que je choisirai pour y passer mes vieux jours, il a bien mérité de son rang, n° 89, le dernier.

Je suis à présent aux portes de la Nièvre, le paysage est déjà plus varié : des champs certes mais entrecoupés de haies de bois et d’horizons moins plats, davantage de villages se silhouettant sur le ciel. J’atteins les premiers contreforts du Morvan, un peu les Monts de Blond du Massif Central septentrional. Et pour la première fois du crottin de cheval sur mon chemin. Rien qu’à le sentir, de vieux souvenirs de belle époque, celle des voies royales, des beaux attelages surgissant du passé.

J’ai rêvé pendant ma courte sieste d’un chat qui s’envolait. Il semblait aussi surpris que moi de se voir projeté en l’air par une rafale de vent et suspendu à rien. C’était un jeune trois-couleurs. Gil saurait certainement me donner une explication de cette image symbolique.

Au bar où je buvais une bière, quatre ou cinq femmes charmantes sont venues acheter des cigarettes. Elles se promenaient à bicyclette et m’ont dit qu’elles se faisaient les jambes. Je me suis demandé pourquoi aucun homme ne les accompagnait.

Avant, les hommes, laissant leur femme à la maison, allaient au sport. Ce sont elles maintenant. Et les hommes que font-ils ? Ils tricotent ?

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