21. Druyes-les-Belles-Fontaines

Mardi 8 mai 1990

Voilà une semaine que j’ai quitté Paris. J’ai campé hier soir dans le pré d’une dame qui a bien voulu m’y laisser pénétrer. J’étais juste à côté du fameux château dominant le village de Druyes-les-Belles-Fontaines, sur un mamelon qui porte encore quelques vieilles maisons de l’ancienne agglomération recroquevillée dans le mur d’enceinte. Dire que les touristes pressés qui passent sur la route du bas ne se rendent même pas compte que le vrai village est ici, en plein Moyen Âge.

Ce château du XIIe est en cours de restauration et l’on ne peut donc pas le visiter pour l’instant. Les gens qui m’ont autorisé à poser ma tente prolétaire sur le gazon de leur antique ferme dûment blasonnée – dépendance probable du château à l’époque – sont le type même de résidents secondaires aux conventions primaires. Ils n’ont dû acheter cette ferme que pour le bel écusson noble qui figure au-dessus de son porche. Des gens à qui l’on n’a rien à dire et qui ne vous offrent qu’un bout de pré. Ils m’ont aussi donné de l’eau et du pain ; il manquait l’oubliette. J’avais eu beaucoup de mal à m’installer légalement quelque part, sur ce haut-lieu d’esprit bas. Seul le châtelain m’eût peut-être invité s’il avait été là. La place toute fleurie et son beau marronnier furent les seuls à m’accueillir dignement !

Druyes est un très joli bourg, aux vraiment belles fontaines dont l’une, couverte, porte la date de 1831 mais doit être plus ancienne. On peut s’y baigner, étant ouverte à tous vents. La surplombant, le château autour duquel fut construit d’abord le village dont plusieurs maisons sont intactes et quelques autres savamment restaurées. La première demeure, à droite en montant le raidillon, est construite sur des caves immenses bien conservées auxquelles on accède par un escalier en colimaçon très étroit qu’une partie des femmes du village auraient du mal à descendre. Cette merveilleuse maison restaurée récemment me paraît encore plus ancienne que la date inscrite sur sa pierre faîtière – 1602 – accompagnée de l’inscription «escolas». Fût-ce l’ancienne école ?

Hélas, comme dans beaucoup de lieux historiques très émouvants et riches de culture ancienne, les gens qui y vivent sont peu en harmonie avec les belles pierres qu’ils habitent sans vergogne et sans mérite. Pourquoi, je n’en sais rien. Mais la différence est grande entre ces deux jeunes «retour aux sources» des environs de Toucy qui m’ont offert si simplement tout ce qu’ils avaient, une bicoque en rénovation, un galetas pour dormir, un morceau de jambon aux œufs-épinards, du cidre local et une eau de vie de poire maison, et ces bien plus riches et bien moins chaleureux qui n’ont même pas pensé à me proposer leur grange pour m’abriter de la pluie. Je n’ai eu droit qu’à leur pelouse bosselée sur laquelle je me suis retourné toute la nuit à la recherche de la bonne position. Malgré les heures creuses et le sol détrempé, j’ai eu la surprise de me trouver en forme ce matin, et contre toute attente les muscles détendus. Tout de même, je ne crois pas que j’arriverai à Vézelay ce soir, à plus de 40 km. J’espère trouver un endroit pour camper, meilleur que celui d’hier.

Voilà, c’est toujours comme ça, quand je voudrais profiter du soleil matinal, je suis en pleine forêt, et quand je désire être à l’ombre, je n’en trouve pas. C’est bien compliqué la vie. Non, pas tellement, il suffit de s’adapter.

Deux lapins – énormes, des lièvres sans doute – courent dans un champ, là devant moi, à toute vitesse. M’ont-ils entendu ? En tout cas je suis content qu’il n’y ait pas de chasseurs dans les environs. En voilà au moins deux de saufs.

PMD :
pèlerinage méditatif déambulatoire
petite et moyenne dimension
pasteur mélancolique et délicat
petit militaire dévoué
penser, mesurer, décrire
prier, manger, donner, etc.

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