57. Conversation téléphonique

Mardi 22 mai 1990

Ce que mon dictaphone ne dit pas, ce sont les temps d’arrêt entre deux séquences verbales. J’ai l’air de parler tout le temps et à bâtons rompus, mais il y a de long silences, inégalement répartis, qui peuvent donner au verbe une autre dimension

Conversation téléphonique :

Oooui … Ça c’est Jérôme
Henriii … Ça c’est Laurent
Saaluut … (léger accent suisse) c’est Olivier.

«Allo, oui, ici Jérôme Pasteur, illustrateur synthétique … Une minute, je vous prie … Allo Mister Nakawasita? How do you do ? Good trip ? … from Tokyo ? Yes I’m here, just a minute, I’ve a call on the other line. Bon, si vous voulez me parler, transcrivez-moi votre message par modem, merci.»

«Ici Laurent Pasteur, éditeur à la Tribune de l’Expansion, que puis-je pour vous? … Oui, bien sûr, naturellement. Ça va de soi, et bien, écoutez … Oui ? … Ah non, non, cette semaine ce n’est pas possible, non … J’ai un rendez-vous à Londres, un autre demain à Madrid, après-demain et en fin de semaine à Milan, Bruxelles et Zurich. Oui, la semaine prochaine si vous voulez bien, oui, oui, … la Tour d’argent ? D’accord, midi et demi mardi, au revoir.»

«Allo, oui, ici Transcribe … Ah Monsieur je crains que notre conversation ne soit un peu longue, j’ai d’autres appels qui m’attendent de New York, Montréal et Manille. Transmettez-moi votre message par fax, oui, excusez-moi … à bientôt, je vous répondrai par téléphone. Merci.»

«Allo, c’est Jérôme. Oui… Dis-moi, il y a un Monsieur Nakawasita de Tokyo qui passe à Paris, tu me le réceptionnes ? Oui, tu vois, le genre ambiance japonaise, photos, petite soirée … Non, ça peut aussi être intéressant pour toi, … oui, oui. Non, je t’en dirai plus par lettre, salut !»

«Salut p’tit frère, dis, tu pourrais prendre en charge un emmerdeur qui n’arrête pas de me téléphoner et de m’envoyer des fax ? … Ben, il veut une maquette illustrée pour sa traduction, alors je lui ai dit de s’adresser à Zurich … Oui, je lui ai donné ton numéro de téléphone … Ok, je te donne ses coordonnées … Oui, je lui ai parlé de toi. Oui, oui, il va t’écrire … Je ne sais pas, bientôt. Ciao !»

«Allo Olivier ? C’est Laurent … Je ne m’en sors pas avec tous mes rendez-vous. Pourrais-tu m’en prendre un ou deux ?» − «À Paris ? Tu paies les frais de transport ?» – «Non, c’est pas ça, tu ne pourrais pas me faire une petite présentation en anglais de ce que je fais et de ce que je veux, c’est presque toujours la même chose, je la glisserai dans le menu au moment de nous mettre à table, tu vois ?» – «Fais-moi un projet.» – «Ok, je l’envoie par fax, merci, je te revaudrai ça.»

«Allo Olivier ? C’est Jérôme … bon, j’ai un Japonais qui voudrait s’implanter à Genève, je lui ai donné ton adresse, ça peut être intéressant, oui, oui … Ben, c’est pas tellement ma partie … Mais c’est un Japonais … Et oui, une commission … Bon, écoute, selon ce qu’il demande, tu me retéléphones, après on verra. Ciao !»

«Jérôme? C’est Laurent … Dis, tu ne pourrais pas me faire un petit logo, oui … c’est pour un cadeau personnalisé, du genre … Non pas trop Tribune quand même, oui réfléchis hein, moi aussi de mon côté. Salut !»

«Salut les frangins ! Ah, vous avez enfin établi une liaison multiple, bon, on perdra moins de temps» – «Tu crois ?» – «Il faut faire un tour de parole, qui commence ?» – «Droit d’aînesse oblige, c’est moi !» – «Tu oublies que tu me l’as vendu …» – «Oh doucement, c’est l’urgence qui a priorité !» – «Il y a un préalable …» – «Écoutez, on va établir un tour de table et un règlement …intérieur.» – «Tu peux le garder pour toi !» – «Excusez-moi, j’ai un appel du pater familias, on se retrouve dans trois jours !»

«Dis, tu ne pourrais pas me mettre un peu de pub pour Transcribe dans ta Tribune? … Oui oui, … non, non, … Oh, bon, je te la paierai ta pub, d’accord ! D’ailleurs, tu en tires aussi profit, tu as l’air d’oublier que tu fais aussi partie de la boîte !» – «Oh que non je n’oublie pas …» – «Ça va, je sais ce que tu vas me dire …» – «Te fâche pas, dis-moi ce que tu veux, j’essaierai … Salut !»

«Olivier ? C’est Laurent. Je t’explique, je suis en train de préparer un projet médiatique fulgurant, … oui, tu vas voir : voilà, il s’agit pour moi d’obtenir une lettre réponse de tous les grands quotidiens … oui de France pour commencer … Mais pour avoir cette réponse, il faut leur écrire et moi je ne peux pas le faire, tu comprends … , alors c’est toi qui le fais au nom de ta boîte, enfin, de notre boîte quoi, sous un prétexte quelconque, publicitaire ou autre, faut voir, mais tu t’arranges pour être sûr d’avoir une réponse, et alors tu me l’envoie. Alors moi, je fais faire l’analyse graphologique des caractères … Si, si, ça existe, morphologie de la présentation, chirologie du papier, tout, pression de la frappe par oscillographie, dactylochiromancie, empreintes digitales au microscope électronique, et j’en passe … Non, je t’assure, je connais quelqu’un … Après ? Et bien j’aurai un dossier complet de chaque société avec synthèse analytico-spatio-temporelle, tu vois, ce qui me permettra de définir plus aisément leur talon, oui, leur talon d’Achille. Génial non ?» – «Mouais, c’est pas mal ton truc, mais s’ils me répondent à la main ?» – «Une lettre pas manuscrite ? Ah, merde je n’y avais pas pensé …»

On reviendra un jour à l’écriture script et à la plume d’oie, vous verrez …

Au cours d’un pèlerinage méditatif déambulatoire, on se prend beaucoup moins au sérieux que lorsqu’on est assis à une table de travail, la tête entre les mains, seul à rêvasser devant la fenêtre ouverte. Sur la route, on est beaucoup plus près de la réalité matérielle, naturelle. C’est tantôt le corps, tantôt le cœur, parfois l’esprit quand même, qui fonctionne. Alors finalement c’est plus équilibré … plus superficiel aussi peut-être, mais plus drôle !

… La rivière, les pieds dans l’eau que j’attendais … Oui, tout arrive (cri d’oiseau perçant, c’est un paon). Allez, vas-y, fais la roue, tu ne veux pas ? Oh qu’il est beau ce paon, tout bleu dans l’herbe verte … Il ne se passe rien, il n’y a rien d’autre à voir … Mais on entend des choses, assez différentes, c’est romantique (mon dictaphone a le hoquet).

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