62. Hôtel New Hampshire

Samedi 26 mai 1990

Sur le chemin de Noirétable, 9 heures. Hier j’ai battu mon record de marche toutes catégories : 36 km dans la même journée ! Mais j’ai été récompensé de mes efforts, car je suis arrivé à Saint-Just-en-Chevalet en n’espérant trouver qu’un hôtel quelconque pour la nuit et je suis tombé sur un jeune couple, André et Valérie, qui venait d’ouvrir une hôtellerie à l’ancienne (formule chambres d’hôtes) et avec qui j’ai passé une merveilleuse soirée. À recommander à tous ceux qui cherchent autre chose qu’un hôtel traditionnel de province et qui apprécient une ambiance familiale décontractée propice aux goûts de chacun : rester dans sa chambre ou s’installer dans la salle commune pour regarder la TV, dans le salon pour lire, ou écouter de la musique et bavarder, prendre son repas à part ou ensemble autour de la grande table de bois brut.

André vient du Puy, il connaît bien le Chambon-sur-Lignon. Il est éducateur pour enfants difficiles à Roanne, Valérie était infirmière à domicile. Encore très jeune, mère de trois enfants dont les deux premiers d’un précédent mariage qui dût mal tourner, elle reste sur place pour accueillir les clients et s’occuper de tout ce qu’il reste à faire car ils ne sont installés que depuis peu de temps. Ils ont acheté ce très vieil hôtel à une très vieille dame qui faisait tout elle-même, donc assez peu, sauf ses parquets cirés à la main par les petites paysannes à genoux de la région. Après elle, tout fut laissé à l’abandon et les parquets ragréés sous moquette. Ils ne l’ont pas acheté très cher mais ils durent le réaménager complètement, installant de grandes chambres doubles pour famille entière avec pièce contiguë pour enfants et lits supplémentaires, toilettes et WC privés, etc.

C’est surtout leur façon d’accueillir les gens qui m’a plu. Il y avait à la porte une affiche : «Entrez, vous être les bienvenus, faites comme chez vous». Il n’y a encore que très peu de clients mais ils viennent d’ouvrir, fin avril, et pour l’instant ceux qui sont venus étaient bien. Comme André continue à travailler à Roanne, ils ne sont pas trop angoissés pour l’avenir, et ça les aide à rembourser l’important prêt qu’ils ont dû faire. J’étais heureux de voir un jeune couple se lancer dans une telle aventure. Son idée à elle – elle a l’air d’avoir beaucoup poussé à la roue et peut-être est-ce elle qui a décidé son ami à le faire – c’était d’ouvrir une pension de famille, elle en avait toujours eu envie. J’ai aussitôt pensé à l’Hôtel New Hampshire de John Irving et je lui ai conseillé de le lire. Je le lui enverrai à l’occasion si je le trouve en librairie quelque part. Ouverte à tous, contente de rencontrer des gens pour apprendre quelque chose de nouveau et échanger des idées. On sent qu’elle a déjà une certaine expérience de la vie réelle, tant par sa profession d’infirmière que par son premier mariage raté. Elle aime beaucoup écrire. J’aurais bien aimé parler plus longuement avec elle mais elle devait s’occuper de son bébé, aussi est-elle montée dans ses appartements de bonne heure. Enfin, il était tout de même 11h30.

Des gens à revoir, un lieu où revenir, que je conseille à mes amis. Chaleureux, bienveillants, dynamiques, enthousiastes, ils m’ont réconcilié avec le monde des vivants, après tant de condamnés à mourir idiots. Ils m’ont surtout remonté le moral après deux jours de pluie à attendre dans des bistrots insipides la fin d’une averse. Saint-Just-en-Chevalet est très bien placé entre Roanne, Vichy, Thiers, Saint-Étienne, Noirétable et Clermont-Ferrand, un lieu idéal de villégiature, de cure de montagne (5 à 600 mètres), ancien petit bourg de vacances bourgeoises, réanimé tardivement. Bien sûr les inévitables «Hôtel de Londres» et «Hôtel de La Poste» n’ont pas vu d’un très bon œil ces deux jeunes entreprenants s’installer à leur porte, et n’ont guère apprécié qu’ils achètent leur bel immeuble qu’eux-mêmes auraient probablement voulu acquérir, moins cher.

Mais quel travail pour remettre en état tous ces parquets, les raboter, les poncer, les cirer, et pour nettoyer les boiseries murales de la pièce principale, aménager la plomberie, l’électricité, les communs … Ils n’ont pas l’air d’en avoir trop souffert, au contraire, mais ils sont contents d’en avoir tout de même fini avec le gros œuvre. Il reste quelques détails à peaufiner, et d’autres chambres à ouvrir, éventuellement. En tout cas ils sont heureux d’avoir obtenu ce qu’ils avaient espéré, même si la clientèle se fait encore rare et si les traites sont encore trop nombreuses.

Oui, vraiment bien, ces deux. Je leur ai donné mon adresse – que je ne confie pas à n’importe qui – et eux me donneront bien entendu la leur. Valérie me proposa même de taper mes cassettes sur son ordinateur, comme ça pour rien, au cours d’une discussion littéraire. Peut-être reviendrai-je un jour avec mes manuscrits pour y travailler en bonne compagnie, qui sait ?

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