64. Vollore-Montagne

Dimanche 27 mai 1990

J’ai dormi 9 heures d’affilée à Vollore-Montagne dans un hôtel restaurant confortable mais mon sommeil fut entrecoupé de rêves compliqués, aux multiples personnages et des bateaux : je devais réparer l’un d’entre eux, je ne le faisais pas et l’on se demandait pourquoi. Il y avait là beaucoup d’hommes et de femmes – surtout des femmes – qui étaient venues pour rencontrer des amis et repartir éventuellement avec l’un d’eux. Ça n’avait rien d’une agence matrimoniale, c’était plutôt une sorte d’école où l’on faisait passer des tests à la fin desquels un diagnostic nous était délivré, avant de repartir. Mais nous trouvions tous qu’on ne s’occupait pas très bien de nous. Il y avait parmi nous une très belle et jeune femme, grande et bronzée, de type antillais, avec quelque chose d’asiatique. Je repartis avec elle et l’une de ses amies. Elle me dit : «Pourquoi ne venez vous pas avec moi» ? J’étais tenté de le faire mais je lui répondis : «Non, que voulez-vous, moi je m’en vais d’un côté et de l’autre, je serai souvent absent. Elle sembla le regretter beaucoup. Nous nous étions embrassés au cours du stage, c’était une espèce d’épreuve ou de test. Elle m’avoua en me quittant qu’elle avait beaucoup aimé ma bouche et je lui dis : «Ce fut la même chose pour moi». Elle réapparut plus tard et, très vite, elle s’est disputée avec moi, me montrant bien sa mauvaise humeur. C’était peut-être un peu de ma faute car j’avais fait un geste maladroit, j’avais cogné par inadvertance son visage de mon bras. Elle avait effectivement une marque assez visible. Ce fut alors la fermeture totale et de nouveau des gens, des couloirs, des salles que je traversais à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose.

Sur la route de Courpière, à 16 km. Il fait frais ce matin. Je domine une grande vallée, je marche dans les sapins et les genêts, le ciel est sans nuage, le soleil brille de tout son pâle éclat matinal, sans apporter toute la chaleur que je souhaiterais, mais je me réchauffe quand même un peu.

J’ai bien envie de prendre ce petit chemin qui descend, mais me conduira-t-il à cette route en bas, qui a l’air d’aller dans la même direction ? Je préfère m’en passer, car je me méfie des raccourcis. D’ailleurs les pentes sont plus fatigantes en descente qu’en montée. J’ai hâte d’arriver à Issoire, demain j’espère. Pour faire une bonne étape, laver mon linge, remettre mon sac en ordre, bien me reposer et repartir d’un bon pied, après avoir écrit toutes ces cartes postales accumulées au cours de ces derniers jours, adressées à un peu tout le monde, ceux du moins à qui je n’ai pas encore eu le courage d’écrire jusqu’ici. Mais le soir, après m’être douché et changé, avoir bu et mangé, je n’ai plus qu’une envie : dormir.

À Vollore j’ai demandé à une jeune fille assise sur le perron de sa maison où il y avait un hôtel. «Il y en a deux» dit-elle, «mais je vous conseille plutôt le deuxième à gauche près de l’église, parce que le premier, non, il est cher et …, allez à l’autre, c’est mieux». Alors j’y suis allé, jetant un coup d’œil au passage sur le premier, l’Hôtel des Touristes, et les gens attablés sur la terrasse m’ont regardé d’un drôle d’air. Avais-je si mauvaise allure ? C’était un hôtel pour gens bien ! Le second, plus modeste, me plut davantage. Les propriétaires, un vieil homme et sa femme à la jambe presque paralysée me dirent : «Oh, nous ne faisons plus de chambres maintenant, nous sommes trop vieux, on ne tient plus très bien sur nos jambes» – «Je dois donc aller à l’hôtel d’en dessous ?» répliquai-je. «Ben oui, mais je ne sais pas s’ils vous prendront, parce qu’ils sont un peu bizarres, même s’il y a des chambres de libres, ils disent que c’est complet, enfin allez voir». J’ai téléphoné de la cabine d’à côté, pour ne pas à avoir à y aller pour rien. Une voix de femme me répondit : «Attendez, je vais voir» et au bout d’un moment elle me dit : «Oui mais ne venez pas trop tard». Je m’y suis donc rendu, mais à contrecœur. Un couple, lui beaucoup plus âgé qu’elle, jouait dans la rue à une sorte de tennis à balle molle avec deux raquettes de badminton. Ils se sont arrêtés au bout d’un long moment pour me montrer ma chambre, jolie, bien décorée, mais beaucoup plus chère que celles que j’avais occupées jusqu’ici. C’était un bel hôtel, assez accueillant, et je me suis demandé pourquoi les gens du village avaient été si réticents à son égard. Ce couple ne vivait peut-être pas tout à fait de la même façon qu’eux. Le soir, avant de passer à table, qui est-ce que je vois au bar ? Mon vieil homme de l’auberge du haut qui ne m’avait pourtant pas semblé avoir le patron qui le servait en grande estime. Sans gêne aucune, il me dit : «Ça va ?» comme si nous nous connaissions depuis longtemps … C’était bien le dernier endroit où j’aurais imaginé le rencontrer.

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