66. Cyclistes et gendarmes

Dimanche 27 mai 1990

Je viens de passer devant un centre de cyclotourisme où j’ai bavardé avec un couple du 3ème âge parti ce matin à vélo de je ne sais plus où avec quelques autres membres amis de leur club favori pour repartir tout à l’heure tranquillement, après un bon déjeuner dominical, sur des chemins tranquilles. Il y a énormément de cyclistes dans la région, qui me dépassent ou me croisent. Ce sport est revenu à la mode. Je ne vois pas trop de jeunes amateurs ou professionnels qui s’entraînent pour leur prochaine course, mais beaucoup d’adultes, retraités ou non, qui pédalent pour se maintenir en forme ou pour se faire plaisir, comme moi, qui marche, sinon pour rajeunir, du moins pour ne pas trop vieillir, ou pas trop vite …

Ces derniers jours se sont bien passés. Je supporte mieux à présent mon barda, la douleur que j’avais à l’omoplate gauche a disparu. Quant à mes pieds, ils vont parfaitement bien.

Spectaculaire animation à Courpière : C’est le départ de la 7ème course cycliste du canton, avec 75 coureurs venant d’un peu partout, même de Savoie, de la région lyonnaise, de Montpellier, ce qui fit dire au Président de la ligue locale : «C’est devenu un tour de canton national».

J’en ai profité pour manger au bistrot situé à côté de la ligne de départ – qui deviendra plus tard la ligne d’arrivée, après 125 km de parcours jalonné de directeurs sportifs tous habillés du même maillot aux armes du sponsor local et de gendarmes motocyclistes sur leur trente-et-un, en service commandé.

Deux d’entre eux, avant de partir, mangeaient en famille à la table voisine, leur revolver et leur ceinturon négligemment posés par terre avec leur casque, très détendus, pas pressés de prendre leur faction. J’ai pu vérifier combien un gendarme peut être différent quand il interpelle et verbalise, et quand il est hors service. Des hommes comme les autres dont l’habit peut faire ou défaire le moine. En ce moment, je ne suis pour eux qu’un voisin de table plutôt sympathique, mais tout à l’heure sur la route ils me prendront peut-être pour un vagabond suspect. Mais aujourd’hui, c’est dimanche, on ne regarde pas autrui comme en semaine. Ils sont chargés de contrôler le bon fonctionnement d’une course bon enfant, ils se sentent un peu en vacance de routine, loin de leur travail quotidien habituel, peu enclins à vouloir embarrasser un citoyen en infraction.

Les cyclistes attendent impatiemment le signal de départ, tous habillés de la même façon mais de différentes couleurs, un numéro sur la fesse, un tee-shirt publicitaire de fantaisie sur le dos, un ou deux bidons accrochés au cadre de leur vélo, tous branchés sur le même pignon, la culotte noire collante bien ajustée, le casque protecteur en cuir ajouré sur leur tête rêvant de victoire, jeunes, moins jeunes apparemment détendus, sans prérogative de pole-position avantageuse, sachant tous que la course sera longue et qu’ils auront bien le temps de se placer en tête plus tard s’ils en ont l’occasion.

Ils ne sont partis qu’à 14h30, après une longue attente dont je ne m’explique pas la raison car tout semblait prêt bien plus tôt. J’ai donc assisté à l’une de ces traditionnelles activités ludiques de petite commune rurale de France profonde. Courses de vélos, matchs de foot, concours de pétanque ou de pêche, bals du samedi soir et concerts de rock, toutes ces vieilles habitudes sportives, distractives dites culturelles n’ont rien perdu de leur savoureux folklore. Les mois, les années se déroulent autour de ces quelques jalons de couleur locale qui charment avec tant de fidèle allégeance la routine coutumière.

Tout de même la France lentement évolue. Au gré des publicités tapageuses, des techniques nouvelles, des besoins fabriqués. D’autres petits intérêts, d’autres grandes ambitions, la villa, le jardin, l’exigence des enfants et la ville à la campagne ont changé quelque peu les mentalités. Mais les pourfendeurs d’ennui contraints de rester encore un peu à domicile avant de s’enfuir dans les prisons urbaines, ont gardé l’habitude des dimanches creux qu’ils remplissent de nouvelles promenades, plus rapides, moins romantiques, en cyclomoteurs tonitruants, en motos gesticulantes, à la recherche d’une heureuse pochette-surprise.

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