76. Le loup du Gevaudan

Lundi 28 mai 1990

Je m’approche du Loup du Gévaudan, je viens de voir une pancarte indiquant la direction à l’est du Moulin au Loup. Alors attention, ne pas camper n’importe où cette nuit, si la chasse au Dahu est ouverte…

Aïe, encore ce petit orteil qui fait des siennes. Je ne sais pas ce qu’il a, hier on aurait dit qu’il était mort et aujourd’hui il se réveille. Ça veut dire qu’il ne va pas tenir encore très longtemps, d’ici qu’on soit obligé de le couper … Et l’autre qui commence à s’engourdir, mes deux glinglins ! Ils sont tout petits, recroquevillés, mal foutus, ils devraient plutôt se faire oublier. Et bien non, ce sont eux qui se font le plus remarquer. Ils ne doivent pas être contents de toujours subir les agressions externes, directement en contact avec le bord de mes chaussures. Les autres, serrés comme des sardines, ne peuvent que se taire.

Comment certains peuvent-ils vivre dans une telle pagaille au milieu d’un environnement si beau ! Certes la maison que je viens de dépasser est celle d’un exploitant en bois. Avec sa scierie, il faut bien qu’il mettre ses déchets quelque part, et tous les troncs d’arbres à débiter. Mais est-il nécessaire de laisser traîner de vieilles voitures, d’anciens engins mécaniques tout rouillés, des tas de choses en vrac n’importe où et n’importe comment tout autour de chez lui et même chez lui ? La femme qui étendait son linge dehors – dont un énorme soutien-gorge à la Woody Allen, qui aurait pu contenir deux boules de bowling pour le moins – n’avait pas l’air de se désoler de tout cet attirail hétéroclite qui encombrait son paysage (aboiement de chien méchant).

Me voici déjà à l’entrée de Sugères, je ne comprends pas, je croyais qu’il y avait 7 km à faire et que je n’en avais fait que 5 et demi. Bonne nouvelle en tout cas et je me félicite : en parlant on fait beaucoup moins attention aux bornes et aux poteaux indicateurs, on voit moins passer la route. L’inconvénient c’est qu’on a tendance à marcher plus vite, au rythme de notre pensée, quelquefois plus lent mais souvent plus rapide que celui d’une marche normale. Alors, au bout du compte, même si on a gagné quelques kilomètres, on se sent plus fatigué ! Mes jambes à l’arrêt sont comme des bois d’allumettes, des guiboles de marionnettes ou comme celles de ces pantins articulés du type martien avec une grosse boule en guise de tête posée sur un coffre-fort à bouton (bruit de tracteur), un coffre-fort qui ne serait pas mon corps mais le sac que je porte, fixé sur deux échasses en flanelle ou deux bas bourrés de sable. Et les bras ne servent à rien, deux ficelles qui pendent et se balancent de ci de là, pareilles à la … feuille morte, qui s’en va, au vent mauvais, qui l’emporte …

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