83. Le rat des villes et le rat des champs

Vendredi 1 juin 1990

Quand on me demande où je vais, d’où je viens, j’ai parfois honte de dire que je marche depuis Paris et que je vais à Santiago, comme si ces ouvriers de la route n’allaient pas me croire ou me traiter de hâbleur, peut-être de fou. Mais non ils hochent la tête en disant «Et bien vous en avez du courage» et quand je leur explique pourquoi je le fais, ils comprennent et trouvent ça bien. Moi, je leur réponds qu’eux sont mieux ici qu’en ville, et ils m’approuvent.

Il y aura toujours une mentalité de ville et une mentalité de campagne, celle de ceux qui préfèrent la vie en cité et ceux qui aiment mieux la nature et l’espace. Il y aura toujours des rats des villes et des rats des champs.

Un jeune marcheur qui ne fait pas de l’auto stop fait toujours plaisir à voir. C’est le premier que je rencontre après mon itinérant de Charlieu. Il remonte au Nord en cherchant du travail, s’arrêtant dans les abbayes pour proposer ses services de réparation ou d’entretien. Il m’a parlé d’une grande abbaye en construction dans les Alpes près de Sisteron. Je me serais cru au XIIème siècle rencontrant un compagnon sur le chemin de Compostelle, et l’entendant me dire que Saint-Bernard projetait de bâtir un nouveau monastère. N’ayant pas de carte je lui prêtai la mienne. Il dort parfois en plein air mais s’arrange le plus souvent pour trouver un abri car il fait encore froid la nuit au mois de mai. Parti de Saint-Flour ce matin à la même heure que moi de Massiac, il m’a trouvé à mi-parcours, là où la nouvelle autoroute rejoint la N9.

Ils sont plusieurs comme lui à être hébergés le soir dans un hôpital, un presbytère ou un centre d’accueil pour repartir le lendemain. Lui ne prend que les petites routes qui l’amènent plus sûrement vers l’hospice charitable. C’est un compagnon solitaire qui travaille pour son compte. Cheveux blonds, pas très grand, visage clair et dents saines, mûri de soleil et de nature, d’un jugement serein sur les gens rencontrés.

Superbe vue depuis le col de la Fageole sur Saint-Flour et la vallée, avec la grande ligne droite de la N9 qui me reste à parcourir, juste à côté de l’ébauche d’autoroute en construction prolongeant celle que je viens de prendre.

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