94. Le nouveau phalanstère

Jeudi 5 juillet 1990

Et si le livre venait un jour à rejoindre la pomme de terre ! Je m’explique : une nouvelle société, éclairée et marginale, se piquant d’art et de lettres mais aussi de nature, et prônant le retour aux belles choses simples, propres et authentiques s’installerait en famille, quelque part en campagne, là où, de préférence, la terre manque de bras pour la soigner. Exploitant leur petit lopin de pommes de terre pour eux-mêmes, ces Jean-sans-terre vivraient en petites communautés confortables dans des hameaux restaurés où la division du travail et un peu de bonne volonté aurait tôt fait d’organiser leurs activités quotidiennes essentielles.

Retour à la «villa» aménagée en résidence principale, les appartements urbains ne servant plus que de résidences secondaires pour y travailler de temps en temps (une ou deux fois par semaine en travail tertiaire, 4 jours sur 7 en emploi secondaire, le secteur primaire se contentant de robots et… de travailleurs agricoles ! Ces maisons de campagne seraient bien sûr aménagées avec tout le confort moderne que nous offrent les technologies de pointe. Communications adaptées : de la bicyclette au 4/4, du téléphone au téléfax, de la TV à l’ordinateur, du journal au microfilm. Et pour les travaux pénibles, le mini-tracteur polyvalent. Concerts, théâtre, expositions, cinéma, conférences, visites et réunions constitueraient le menu des vacances, brèves et multiples, décidées sans contrainte. Et le voisin complaisant vous permettrait de faire de temps en temps les longs voyages rêvés.

La production agricole de ces nouveaux petits exploitants amateurs coûtera probablement plus cher mais elle sera plus naturelle, plus biologique et plus saine.

Des associations d’anciens «colons-de-province» et des mutuelles de «nouveaux-immigrés-campagnards» défendraient les droits de chacun et, en cas de litige, une seule condamnation serait infligée : l’exil à la ville (éventuellement avec sursis). Bien sûr, je vous vois venir avec toutes vos objections, mais venez donc, vous les ferez sur place, si vous êtes invités !

Chacun apporterait le capital correspondant à la somme qu’il comptait investir dans l’achat d’un appartement ; l’argent commun servirait à acquérir tout ou partie d’un village abandonné, à sa reconstruction, à la restauration de maisons et d’annexes, puis à l’installation des premières familles, 4 ou 5, pas plus, soit une vingtaine de personnes pour commencer. Ce pourrait être La Courcelle… village «Pasteur & Co.»

Un statut de communauté libre permettrait à chacun de vivre à sa façon tout en respectant la liberté d’autrui, avec pour seul devoir collectif d’accorder au patrimoine commun une petite quantité d’heures annuellement réparties en fonction des besoins et aptitudes locales.

Ainsi les villes se décongestionneraient-elles un peu au profit de villages dépeuplés, pour un meilleur équilibre démographique et social du pays. Mais pour cela il faudrait qu’un gouvernement fort, persuasif, intelligent et obstiné dispose de moyens politiques suffisants…

Un jour peut-être la campagne reprendra le pouvoir aux villes qui dès lors dépendront d’elle. Quant aux grands centres urbains industriels et administratifs, ils pourront s’organiser en ligue hanséatique par exemple. Ceux qui voudraient y travailler sans y habiter le pourraient. Avec toutes les possibilités que nous offre maintenant l’informatique, chacun pourrait organiser sa vie comme il l’entend.

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