110. Entre Figeac et Carjac

Lundi 16 juillet 1990

Sur le GR65, entre Figeac et Carjac.

Tout à l’heure, j’ai rencontré une estafette de la gendarmerie de Figeac. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas croisé sur ma route. Au moment où, de moi-même (je suis devenu moins agressif) je voulus leur présenter ma carte d’identité, catastrophe, je me suis aperçu que je l’avais oubliée à l’Hôtel de la Bride, ou plus exactement que la patronne ne me l’avait pas rendue. Alors je leur ai montré tous les documents que j’avais. Ils se sont contenté de mon permis de conduire (photo et date de naissance) mais le contrôle fut très long car les bureaucrates de la brigade ne savaient pas où se trouvaient la Nouvelle-Calédonie et demandaient son numéro postal. Impossible de le trouver, et comme rien n’apparaissait me concernant sur leur fichier informatique, je devenais suspect. Heureusement, les hommes de terrain sont plus réalistes que les ronds de cuir de la ville. Les deux braves – pour une fois – pandores avec qui je m’étais mis à discuter religion, pèlerinage et abbayes – car l’un d’eux était allé lycéen en autocar à Saint-Jacques et il s’en souvenait – faisant preuve – c’était bien la première fois – de courageuse initiative, estimèrent à l’unisson que j’avais assez bonne mine pour continuer ma route sans code postal de mon lieu de naissance. Ils me saluèrent militairement, puis civilement, avant de me laisser partir.

De sentiers invisibles en chemins erronés, je finis par aboutir à une route numérotée qui, selon les indications de mon topoguide aurait pu être la D38.

Je vous parlerai plus tard de mon arrêt à Cordes et de ma rencontre avec Jérôme. Nous sommes arrivés au château d’Alos (son vrai nom) les premiers, avant même Marc et sa femme, qui étaient allés faire des courses au village voisin et qui étaient les seuls à l’habiter.

Sur la route du château de Mauriac, occupé par les Biste, que je voulais revoir en attendant, nous tombons à Cahuzac sur une bonne partie de la bande des lyonnais venus en voiture : Chi, Henri et Tinh’Y, plus des amis. Pot tous ensemble et papotages puis retour au château où nous avons retrouvé Olivier (dans un hamac) et Stella (dans une chaise longue), ainsi que leur amie philippine Manolita.

Que de monde, de chambres et d’allées et venues sympathiques dans ce château d’épopée où je suis resté jusqu’à Dimanche après-midi, temps des au-revoirs mélancoliques et chaleureux. Jérôme, qui repartait à La Courcelle, m’a ramené en voiture à Figeac. Et là j’ai retrouvé ma chambre d’hôtel et sa chatoyante patronne. Cette longue incartade récréative m’a fait partir ce matin avec une heure de retard sur l’horaire habituel, mais enfin, le soleil étant caché par une mince couverture nuageuse, je n’ai pas encore eu trop chaud.

Ces quelques dernières grimpettes m’ont fait suer tout ce que j’avais bu ces trois derniers jours de fête …

Voici mon second dolmen, bien plus imposant que le premier, et dont la pierre posée supérieure ne semble pas avoir été déplacée comme sur le précédent. En face, une croix qui veut peut-être conjurer le sort d’une réminiscence païenne, mais elle me paraît bien chétive eu égard au triolithe trapu qui la courtise. Il sera bientôt midi.

Là-bas au fond de la vallée

Enfin je découvre Carjac

Il est 5h40 et je craque
Ma joie s’en est allée
Ma tête gît de côté
Et je suis tout trempé
de l’eau que j’avais bue
Mes jambes sont fourbues
Lot, Lot, Lot où es-tu ?

(improvisation chantée)

Ce n’est pas le tout, il y a encore 200 mètres de dénivellation à descendre, une demi-heure, quoi. La grotte annoncée sur la carte, ce sera pour une autre fois. À moins que j’y passe la nuit. Mais je vais d’abord aller prendre une douche.

Ça valait tout de même le coup d’y aller, et un spéléo-paléophile comme moi se devait de la saluer.

À présent je m’arrête, bien que je n’aie plus d’eau à boire, juste pour voir. Parce que c’est très beau. Ce petit village blotti contre son clocher avec tous ses toits qui font comme une pente rouge jusqu’à la rivière tranquille qui l’embrasse de sa boucle, sous le vieux pont à moitié suspendu.

Devant, le cimetière, bien propre, entouré de champs méticuleusement tondus. Un dernier coiffeur assis sur sa faucheuse tourne en ronds, la moissonneuse batteuse est en panne.

L’angélus bientôt sonnera. Et tout le monde rentrera pour se laver, manger et se coucher. Et je ferai de même.

Mon tee-shirt est à tordre. Tout le long du chemin je me suis répété : «putain de soleil de merde», et pour mieux le clamer j’étais prêt à l’enregistrer, mais je n’avais pas la force de sortir mon dictaphone de la poche, tellement j’étais fourbu. Alors je l’ai gardé en moi – le juron, pas le dictaphone – jusqu’au moment où le «putain de soleil» s’est caché derrière un rocher, ce qui m’a permis de m’arrêter une dernière fois avant d’atteindre le prochain gîte quelque part devant moi.

Ça y est, la moissonneuse-batteuse s’en va. On dirait une grosse sauterelle à tête rouge sans antennes. Son propriétaire la suit prudemment en voiture, vraisemblablement pour s’assurer que son pilote la conduit bien chez lui. C’est précieux ces machins-là !

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