120. De Lectoure à Castéra-Verduzan

Mardi 24 juillet 1990

Terraube, 10 km après Lectoure. Je suis assis à une table villageoise sous un parasol. Il est midi moins le quart. Je suis parti tard ce matin de Lectoure car j’ai dû attendre l’ouverture de la Poste pour y retirer de l’argent avec ma carte bleue, les deux distributeurs de la ville étant en panne. J’en ai profité pour envoyer à La Courcelle une grande enveloppe remplie de paperasses diverses, ce qui m’allège un peu. Mais je n’étais pas content du tout de cette ville de Lectoure où rien n’est fait pour faciliter la vie des passants.

Il y avait bien un gîte, mais déjà occupé par une douzaine d’enfants nord-africains et africains de Saint-Louis, près de Bâle. Très gentils mais très bruyants, sous l’autorité d’un moniteur qui de prime abord me donna l’impression de n’en avoir aucune. En fait, il équilibrait très judicieusement par son calme l’impétuosité de ses ouailles déchaînées. Le plus excité d’entre eux était la seule fille du groupe, un vrai garçon manqué, à la voix tonitruante, qui m’empêcha de dormir jusqu’à ce qu’elle vienne s’installer dans notre dortoir pour y passer la nuit, ses compagnons dormant en bas.

Ce matin, la plupart d’entre eux m’ont interrogé sur ce que je faisais, ravis de cette occasion de parler à un autre que leur accompagnateur attitré. Curieux, attentifs, prompts à la critique, mais tellement plus vifs que leurs blancs coreligionnaires désabusés ou voulant s’en donner l’air. Ce sont eux que tant de citadins peureux et obtus nomment graines de violence, futurs terroristes, immigrés-qui-n’ont-rien-à-faire-ici, etc.

Tout est assez mal parti pour ce 25 Juillet qui pourtant devrait m’apporter la surprise horoscopique attendue. J’ai mal dormi, il fait chaud, il me manque le courage. Et la carafe d’eau que j’ai bue tout entière d’un seul coup à Saint-Puy n’a pas réussi à étancher ma soif. Il est 16 heures et il me reste encore quelques bons kilomètres à faire. La fin de la journée ne semble pas vouloir m’apporter plus de satisfaction. En fait de bonne surprise et de belle rencontre, je n’ai pas vu grand-chose jusqu’à présent.

Tout à l’heure, à Castéra-Verduzan, je m’arrêterai dans un hôtel banal juste assez confortable pour laver dans le lavabo mes chaussettes, mon tee-shirt et mon short (si j’en ai le courage), boire et manger peut-être et me coucher sans demander mon reste. Et demain, rebelote, même temps de route, même entourage, même paysage jusqu’à Pau. Cette partie de mon itinéraire n’est pas très folichonne. Certes le Gers est beau avec son paysage ondulé aux doux coloris mais la terre est si sèche et l’air est si chaud que c’en est presque insupportable. Il fait encore 37° à l’ombre et il n’a plu que quelques gouttes de sueur céleste hier soir. Ce matin, c’est comme si rien n’était tombé, même pas l’ombre de la nuit.

Marcher quand il fait chaud sur une route goudronnée brûlante, sous un soleil qui vous tombe sur la tête comme une masse, entre des champs de tournesol la tête en bas, à cause de ce soleil qui brûle tout, dessèche tout, chauffe tout. Même l’ombre de quelques rares chênes efflanqués ne vaut rien. C’est l’enfer. On marche parce que s’arrêter est pire, à moins d’attendre le soir quoique même au crépuscule il fait encore très chaud. Le plus dur est de se remettre en route après s’être reposé un instant pour s’aérer les pieds, boire un peu d’eau et regarder la chaleur envahir le ciel et la terre.

On ne pense plus à ces moments-là qu’au verre de bière de la prochaine étape, allongé, les pieds dans l’eau. On ne marche que pour avoir le droit de s’arrêter, au moins jusqu’au lendemain. Et boire, boire, boire, et souffler, et dormir …

Finalement je n’ai pris ni la route de Condom où doivent déjà être arrivées mes trois marcheuses (elles ont dû avoir aussi chaud que moi) ni le chemin de Fleurance où je voulais retirer de l’argent. J’ai choisi la voie du milieu, qui m’emmènera bien quelque part, peut-être à Plaisance, un de ces prochains jours. Encore 4 km, une heure de marche, et en descente ! Là en bas, dans les arbres, qui sait, je trouverai peut-être un ruisseau.

On m’avait prévenu que 500 mètres avant Castéra … Vau … Vers je-ne-sais-quoi, ah oui, Castéra-Verduzan, il y avait un lac. Je m’attendais à une mare boueuse, couleur de vase, quelque chose en tout cas d’imbaignable. Et bien pas du tout. C’est bien un lac, un vrai lac, artificiel certes mais d’autant mieux aménagé, bordé d’une rampe cimentée avec plage, sable, bassin protégé, bicyclettes et pédalos, et un bar où je me dirige aussitôt pour boire ma bière favorite tant attendue et déposer mon sac. Je ne devais pas être le premier randonneur à m’arrêter ici car on me désigna tout de suite une pièce où je pouvais tout laisser – même ma fatigue, sur les civières entreposées là en attente – parmi les casques de motards, les ballons de volley, les tuyaux d’arrosage et autres outils aratoires.

Je me suis tranquillement déshabillé, j’ai enfilé mon mini-short bariolé, mes claquettes, j’ai placé ma monnaie dans les deux petites poches latérales de ma casquette et, mon portefeuille à la main, je suis allé le déposer au bar où j’ai bu ma deuxième bière. Je me suis baigné un peu en dehors du cordon de sécurité pour nager plus à l’aise, quelques brasses, quelques mouvements de crawl, puis sur le dos pour finir en planche … de salut. Écarquillant les doigts de pied sur le fond gravillonné du bassin, je me suis ensuite dirigé sur la pelouse pour me sécher au soleil enfin acceptable, tout près – sans l’avoir fait exprès – d’une très jolie jeune fille aux seins pointus adorables faisant semblant de lire attentivement un livre-prétexte sous un chapeau de cow-girl provoquant. Cette douce image dans les yeux, je me serais presque endormi, sans la caresse insistante du soleil toujours présent et toujours aussi chaud, même à 6 heures du soir. Finalement, mon horoscope avait dit vrai.

Détendu et satisfait de ce cadeau inattendu, je pénètre en ville de bonne humeur et, tout en parlant à mon dictaphone, je marche à la recherche du centre de ce bourg plus que ville, village plus que bourg, ne sachant trop où aller. Sur la D930, je tombe sur l’Hôtel des Thermes … Pourquoi pas après tout ? Allons voir, ça n’a pas l’air catastrophique, mais y aura-t-il une chambre pour moi ?

Partager cette page Share