Jeudi 26 juillet 1990

Depuis un an le prieuré de Madiran a été transformé en hôtel-restaurant dont l’aimable propriétaire m’a gentiment prêté quelques documents historiques intéressants, dont voici un résumé :

Madiran s’est développée autour d’une ancienne abbaye bénédictine aux origines mal connues mais qui existait en tout cas au début du XIe siècle et fut rattachée vers 1030 à l’abbaye de Marcillac, dans le Lot. Église et prieuré furent incendiés par les protestants en 1569 et ce qu’il en restait fut réuni en 1625 au Collège de Jésuites de Toulouse qui le conserva jusqu’à la Révolution.

L’église Notre-Dame-de-Madiran date de l’époque romane mais la chronologie et l’articulation de ses différentes parties posent des problèmes difficiles à résoudre. Ainsi la vaste nef rectangulaire dont les murs sont renforcés de pilastres intérieurs n’a jamais été voûtée. Elle est couverte d’un plafond charpenté, éclairé par des fenêtres hautes modernes qui ont remplacé l’ancien système de baies romanes plus basses actuellement obturées et qu’on devine sur le mur Sud. Les portes Nord et Sud sont également modernes. Les fidèles entraient jadis par un porche dont on devine les restes romans au centre du pignon Ouest tandis que les moines passaient par une petite porte placée dans l’angle Sud-Ouest du cloître.

Un vieux bénitier à l’entrée représente dans sa partie sculptée un corbeau tenant dans son bec non pas un fromage mais le soleil, un symbole celte représentant le diable avalant la lumière.

En-dessous, une crypte à demi enterrée très ancienne, aux formes irrégulières et curieuse, où les fidèles en procession venaient vénérer quelques reliques, ce qui explique la disposition des deux escaliers. Il y a dans une partie de cette crypte deux colonnes asymétriques dont l’une est sculptée de dessins géométriques très anciens certainement antérieurs au Xe siècle.

On ne peut s’empêcher d’admirer l’aspect archaïque de l’ensemble avec ses deux chapiteaux frustes imités de l’antique et confirmé par les voûtes maladroites et pourtant contemporaines des murs de l’abside autour de laquelle, interrompues par de lourds pilastres, s’appuient des arcatures romanes dont la répartition est déséquilibrée.

L’Abbé Jean Cabanot voit dans les thèmes et la sculpture des chapiteaux l’œuvre d’un atelier qui, dans le second quart du XIIe siècle, aurait travaillé dans plusieurs églises de la Gascogne, du Béarn et de la Bigorre mais aussi en Espagne à Jaca et Compostelle. Parfaitement maîtrisée, cette sculpture présente des caractères de liberté et de simplicité qui lui donnent une grande force d’expression.

Madiran est situé à la pointe nord du département des Hautes-Pyrénées en Rivière Basse. Des latins régnèrent dans la contrée 100 ans avant notre ère, nous en avons la preuve par la présence d’un chapiteau romain dans la crypte de l’église prieurale. Ils eurent à subir les invasions successives des Huns, des Goths puis des Maures. Vers 1030, les pères bénédictins installèrent un prieuré. En 1569, sous le règne de Jeanne d’Albret, Madiran la catholique fut massacrée, l’église paroissiale fut brûlée par le huguenots, l’église Notre-Dame et le prieuré furent incendiés et les moines tués par les troupes de Montgomery. L’église actuelle est l’une des plus anciennes du département. La commune de Madiran compte 600 habitants.

Les vignobles alentours existent depuis l’époque gallo-romaine, comme en témoignent les mosaïques figurant ceps de vigne et raisins découvertes dans les fouilles d’une villa d’Arroses, le village voisin. Mais leur création véritable date du XIe lorsque fut fondée l’abbaye de Madiran par des moines bénédictins. Les vins de Madiran connurent la renommée grâce aux pèlerins de Compostelle qui le découvraient en traversant la région. À cheval sur trois départements, Madiran est un vignoble de coteaux couvrant une superficie d’environ 1200 hectares et regroupant 37 communes. Plusieurs cépages entrent dans sa composition : le tannat, cépage de base à 40-60 %, le cabernet, le sauvignon et le palissé. Très riche en tanin, le Madiran est un vin rouge typé et charpenté, rude dans sa jeunesse. Sa production est de l’ordre de 55000 hl environ.

Le Pacherenc-du-Vic-Bilh est un vin blanc à base de plusieurs cépages : arrufiac, petit et gros manseng, petit courbu et sauvignon. Il peut être sec ou moelleux. Sa production est de l’ordre de 3000 hl par an. Le vin de Madiran a droit à l’appellation contrôlée depuis 1948.

«L’an de Rome 902, 15 Mars 150 apr. J.-C.. sous le règne de l’Empereur Antonin, fut nommé centurion Calvius Vibrio, fils d’Avidius Federator, affranchi d’Adrien.» Cet emploi avait été obtenu par les intrigues de Nigra Falta, mère de Calvius, favorite de l’Impératrice Faustine dont elle avait facilité le désordre. Le jeune centurion envoyé à la 12ème Légion surnommée Obstinata, qui occupait le Nobem Populani, parvint après un long voyage à Elusa (Eauze), quartier général de sa légion. Il reçut le commandement d’une cohorte détachée au pays d’Igourdan dans un camp appelé par les Romains Mansus Irani : Madiran.

Mansus Irani était constitué par deux agglomérations bien distinctes : au Nord, la villa romaine campée à l’extrémité du coteau, protégée par l’arc du Bergons ; au midi le Vicus Vidorensi s’occupait uniquement de la population indigène. La villa formée du groupement des divers édifices et bâtiments successivement élevés par les Romains couvrait un vaste quadrilatère aux côtés incurvés, notamment celui formé par le cours du Bergons. Au centre du quadrilatère se dressait le temple de Jupiter, père des dieux, flanqué au Nord du prœtorium, maison du chef …

Don Estieno, bénédictin né à Varennes en 1646 et mort en 1699, rédigea 45 volumes sur lesquels ont travaillé de nombreux bénédictins. Dans les quelques mots qu’il consacre à notre monastère, il fait connaître le nom primitif de ce lieu : Monaterium e Manso Irani ceu de Madirano. On ne saurait préciser l’époque où fut fondé le monastère primitif de Madiran ni par qui il fut fondé.

La vie monastique a commencé au IVe siècle en France. Le retour triomphal d’Ilère, exilé en 360, ramena Martin à Poitiers et ce fut aux portes de cette ville que Martin put alors fonder avec le concours de l’évêque ce monastère de Ligugé que l’histoire désigne comme le plus ancien des Gaules. Les progrès de l’ordre ne se ralentirent pas après sa mort puisqu’on a pu pendant le cours du VIe siècle compter 228 établissements dans la vallée de la Saône et du Rhône, des Pyrénées à la Loire, des Vosges au Rhin. Notre monastère est certainement de cette fondation. Il existait mais dans un état déplorable quand Sansus vint d’Espagne en 1030. Cet homme, parent des comtes de Bigorre, donna au monastère une vie nouvelle qui lui permit de jeter quelque éclat. L’église de Madiran est l’une des plus anciennes et des plus intéressantes du département.

Gabriel de Montgomery, après avoir tué dans un tournoi le roi de France Henri II, partit en Angleterre pour échapper à la colère de Catherine de Médicis et se fit protestant. Jeanne d’Albret comprit le parti qu’elle pouvait tirer de cet apostat dont l’habilité et l’énergie ne s’embarrassaient d’aucun scrupule. Elle l’appela et le chargea de lever des troupes. Routiers, coupe-jarrets et brigandiers se rassemblèrent, que l’ambitieuse reine de Navarre comptait utiliser pour terroriser le Sud-Ouest de la France et se venger de son excommunication. Dès la première revue passée à Castres le 25 Juillet 1569, Montgomery comprit en voyant l’aspect de ses recrues qu’il pouvait compter sur eux pour accomplir son œuvre de mort et désolation.

Le 27 Juillet 1569, il met en marche cette armée dont les exploits allaient remplir l’une des pages les plus sanglantes de l’histoire de France. Son armée ravage plus de cent lieues de pays. Saint-Puy, Mazères, Saint-Gaudin, la plaine de Tarbes sont successivement mis à feu et à sang. Passé le gave à Coarraze, il entre à Navarrenx, surprend à Orthez l’armée royale qui capitule, fait massacrer les prisonniers et martyrise les religieuses.

Le 29 août il est dans le château d’Aydie accroché au Nord, pour fondre sur Madiran et son prieuré qui offre une proie facile et un butin considérable. Sanctuaire réputé, ce monastère est un lieu de pèlerinage fameux dans tout le pays et la piété des fidèles l’a orné d’inestimables trésors. Le Prieuré de Madiran est entouré de tous côtés de hauts remparts à l’épreuve des couleuvrines et la ceinture des fossés profonds qui l’encercle rend l’escalade presque impossible.

Alors un traître se présente à Montgomery et lui propose ceci : «Voici Messire, je connais l’entrée secrète du souterrain qui, par dessous les murs de défense, conduit à la rivière du Bergons. Cette entrée est si bien dissimulée qu’on n’a jamais cru utile de la fortifier, le prieur seul en connaît le secret, ou croit être le seul à le connaître. Moi je l’ai surpris ! Dans la crypte même de l’église.»

La prieurale de Madiran ne fut bientôt qu’un monceau de décombres, les voûtes effondrées et les tours écroulées sous l’action des mines. Au milieu des tourbillons de fumée, on ne distinguait plus que quelques pans de mur encore debout. Le village entier flambait.

Janine, la fille héroïque du Consul Jacques Valet, sauva de la profanation et de la destruction l’image vénérée de Notre-Dame-de-Madiran. Elle envoya ses deux jeunes frères comme éclaireurs sur les traces de l’ennemi pour tenir ses compatriotes au courant des mouvements de troupes. Bernard de Saint-Lannes loue l’exploit des jeunes héros – dont l’aîné n’a pas encore 17 ans – qui ont prévenu les Madiranais d’un éventuel retour offensif.

À cette époque Madiran est entretenue par le travail de ses habitants. En 1786 elle payait la somme de 2015 livres, répartie entre les propriétaires. La taille affectait la propriété, la capitation tombait sur la personne, pour tout le monde, même les princes de sang. Cependant elle ne pesait pas également sur tous, elle était proportionnée au rang et à la fortune personnelle du contribuable. De capitation, Madiran payait en 1786 la somme de 948 livres. Le dixième denier était un subside extraordinaire pour subvenir aux besoins de l’État. Il consistait au dixième des revenus de biens fondés ainsi qu’au dixième de l’industrie des marchands, négociants et artisans.

Il y a près de Madiran des tertres qu’on désigne sous le nom de tucos ou tucoulets. Leur dénomination et leur configuration ne nous laissent aucun doute sur leur destination primitive. Ces tertres n’étaient autres que des camps celtes ou gaulois. Selon toute vraisemblance ils existaient déjà avant l’arrivée des romains. Ils sont encore debout malgré le travail d’effritement du temps et du laboureur.

Sources : Notre Dame de Madiran , Tarbes 1922 et Madiran la commune, le prieuré, la paroisse, Tarbes 1908, de l’abbé Dufour. Dictionnaire des églises de France, Tome III, Sud-Ouest, Robert Laffont, 1967, de Victor Allègre. Gascogne romane, La Pierre-qui-Vire, 1978, de l’Abbé Jean Cabanot.

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