129. Saint-Jean-Pied-de-Port

Mardi 31 juillet 1990

Saint-Jean-Pied-de-Port, à la pizzeria qui fait face à l’Hôtel des Pyrénées, 10 heures d’un soir immuable :

Un couple espagnol. La femme est la seule à parler, à rire aussi. Elle est de dos et je ne vois que sa queue de cheval. Lui fume, fulmine peut-être aussi, sa bouche mince et sèche secouée de tics nerveux manifestant un malaise. Visiblement, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde.

Un autre couple. Une jambe sur une autre chaise, elle écoute distraite et distante les propos de son compagnon. La nature fait bien les choses, quand l’un se tait, l’autre parle. D’aucuns trouvent que je suis souvent l’autre !

À une table voisine, grandes lunettes cachant quelque secret fantasme, chemise rose et corsage vert, elle mange, en inclinaison amoureuse plus qu’en obsession passionnelle.

Deux motocyclistes devant moi se harnachent pour un nouveau départ, chevelure blonde indisciplinée dans un casque en boule, veste de cuir et foulard noué, extra-terrestres absents dans leur jovialité mobile après une courte halte sédentaire au bord de leur course éperdue.

Mon voisin direct, grisonnant, seul devant son verre de bière, est un peu plus couleur locale, mais sans plus.

Un nouveau couple s’installe, encore des cheveux blonds mais plus courts et des lunettes mais plus rondes. En face d’elle, un profil introverti, concentré sur le devoir des cartes postales qu’elle lui impose.

Une jeune femme au bras gauche plâtré négligemment suspendu au-dessus de la hanche par une cordelette, marche devant moi – qui me suis levé pour la suivre – et entre quelque part pour en ressortir aussitôt : short blanc, haut flottant à épaulette libertaire, épaule bronzée, seins nus aux pointes aventureuses devinés sous la blouse, elle semble savoir où elle va malgré ses inutiles arrêts temporaires aux bars des amis absents …

Tous ces visages, ces ménages, ces corsages, anonymes ou personnels, fades ou animés, marionnettes de passage apparemment satisfaites de leur bref présent entre deux masques de circonstance, éphémères expressions du rien et du tout, reflet d’une insipide atonie confrontée sociale à quelque secret miroir intérieur.

Partager cette page Share