Mercredi 8 août 1990

Départ de Torres del Río, 7 heures du matin. D’un côté, le soleil sort de la montagne, éclairant le village ; de l’autre, la pleine lune, qui termine sa course dans le ciel. Tout autour, des champs de blé, des bosquets, des vignes en attente de vendanges prochaines et, au loin, ces montagnes roses et grises, immenses et humbles à la fois. Mes pieds foulent une terre blanche, sèche et dure sur un chemin à double piste rase de part et d’autre d’une ligne d’herbe médiane, entre des oliviers.

Ceux-ci seront de plus en plus nombreux au fur et à mesure que nous nous approchons de la Castille. Mais nous ne sommes encore qu’à la limite de la Navarre et de la Rioja, pas très loin de ‎Logroño, l’ancienne capitale de l’ancienne Castille, que nous atteindrons bientôt.

Danielle est bien venue me rejoindre à Cizur Menor mais … avec François, son ami du moment, qui l’a accompagnée en voiture car elle ne se sentait pas la force ni le courage de voyager seule. Aussi notre projet de marche commune pendant quelques jours a-t-il tourné court, car François l’attendait à chaque étape et même souvent entre deux, avec la voiture … d’accompagnement ! J’étais vexé, furieux, déçu. C’est la deuxième fois qu’elle me fait un coup pareil, prévoyant une visite ou un voyage avec moi et me rejoignant sans vergogne ni prévenance avec un inconnu. Cette totale indifférence à l’égard de l’autre et cette incapacité à se mettre à sa place me choquent profondément. Une attitude inconsciente et égoïste teintée d’ambiguïté, avec cette espèce d’innocence factice, de naturel arrangé propre aux femmes de moindre rigueur.

Mais c’est elle qui était prête à me trouver intolérant quand je refusai que François nous accompagne. J’ai même été obligé de lui dire de s’écarter un peu de mon chemin car je trouvais qu’il commençait à prendre un peu trop de place, allant jusqu’à vouloir diriger les opérations. Avec de bonnes intentions peut-être mais de façon fort maladroite et avec un non-sens certain de la diplomatie la plus usuelle. Préparant notre étape à l’avance, allant se renseigner à ma place, c’était tout juste s’il ne me disait pas ce que je devais faire.

Heureusement, Danielle n’a pas tenu deux jours, une tendinite au genou et le manque total de préparation l’obligeant à reprendre la voiture pour rentrer plus vite qu’elle ne le pensait. Sans quoi je n’aurais pas tenu moi-même plus longtemps dans cette situation aussi fausse qu’insupportable et dont j’étais apparemment le seul à me rendre compte. Danielle ne vit pas dans le faux mais dans le flou. Elle croit qu’elle a besoin de François alors que c’est lui qui a besoin d’elle.

Enfin, nous avons quand même marché quelques kilomètres ensemble d’agréable façon. Mais j’ai bien peur que notre vieille amitié ne s’arrête là. Je m’expliquerai davantage avec elle plus tard, car pour l’heure elle ne comprend pas ce que je lui reproche, et bien sûr elle n’accepte pas ses défauts qu’elle ne voit pas. Et j’étais trop en colère d’avoir été violé dans mon intimité solennelle et contrarié dans ma solitude offerte pour pouvoir lucidement lui exposer mon point de vue.

Aussi est-ce avec joie que j’ai retrouvé quelques compagnons espagnols avec qui je marche de concert maintenant, car nous allons à peu près au même rythme, nous nous retrouvons aux mêmes étapes. Partant ensemble, nous faisons le chemin deux par deux, c’est pourquoi je n’ai pas beaucoup parlé ces jours-ci dans mon dictaphone.

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