145. De Astorga à Rabanal del Camino

Lundi 20 août 1990

Depuis quelques jours je ne sais plus très bien où j’en suis. Je suis le mouvement général qui me tire un peu malgré moi sur ce chemin de Santiago qu’il faut maintenant rejoindre sans trop de fioritures et d’arrêts prolongés aux étapes, à moins qu’elles ne présentent un intérêt particulier.

À Hospital de Órbigo, une foule de gens encombrait les abords de la rivière – c’était dimanche – et les rues voisines. Le refugio était situé au diable vauvert, bien après le camping municipal, dans une maison en bois à moitié démolie où il n’y avait même pas de quoi se coucher ni se laver. Aussi sommes-nous repartis Jaime et moi vers 14 heures, en plein soleil, sur la route surchauffée et toute droite d’Astorga, sans trop de conviction.

Après quelques kilomètres, Jaime décide qu’il n’en peut plus et qu’il n’ira pas plus loin à moins de faire de l’auto-stop. Sans vraiment tenter de le dissuader je l’ai laissé faire des signes aux voitures qui passaient sans s’arrêter. Bien que de moins en moins déterminé à enfreindre ma sacro-sainte décision initiale, je ne l’aurais pas abandonné si une voiture s’était arrêtée. Finalement, les voitures ne s’arrêtant pas, je lui ai suggéré de marcher derrière moi seul pour augmenter ses chances.

Un peu plus tard, j’entendis une voiture ralentir près de moi et je Jaime me faisant de grands signes de la fenêtre d’une auto qui s’arrêta quelques mètres plus loin. Il avait réussi à séduire un conducteur et à le persuader de me prendre aussi. Je ne pouvais pas refuser, il n’aurait pas compris ! Me réfugiant derrière mon hypocrite alibi, je montai donc à côté de mon fidèle compagnon, lui laissant la responsabilité de mon infraction. C’est ainsi que nous avons pu, sans fatigue, nous rapprocher assez près d’Astorga pour faire à pied et à fière allure les derniers kilomètres.

Il nous a fallu assez longtemps pour trouver notre gîte, car il était perdu du côté du stade à l’extérieur de la ville et malgré la foule qui se rendait à un match important, nous avons eu beaucoup de mal à trouver quelqu’un pouvant nous renseigner. C’était la fête à Astorga, mais nous ne songions qu’à trouver un endroit pour nous coucher. Hélas, à la porte du bureau d’accueil des pères hollandais situé dans un grand campus aux beaux bâtiments propres et fleuris, un papier fixé à la vitre nous avertissait que le refuge ne serait pas ouvert avant 20h30. Désespérés nous nous sommes couchés sur le gazon …

Nous étions presque endormis quand une voiture s’est arrêtée et que trois jeunes filles en jaillirent : Esperanza, Lorenza et Macarena. Elles avaient téléphoné à une amie qu’elles connaissaient et, grâce à elle, nous avons pu aller jusqu’au gîte qui se trouvait un peu plus loin près d’une école qui nous offrait enfin un vrai confort : douches chaudes, matelas pour tout le monde et possibilité de laver son linge.

Lavés, changés, reposés, nous partîmes faire la fête, toute fatigue et rancœur disparues. Je me suis même payé le luxe de danser un peu – nous avions quatre cavalières et Jaime ne dansait guère – et d’apprendre la Sevilla, une danse difficile – pour moi en tout cas – mais tellement séduisante et si belle à regarder.

C’était la fête, nous en avons bien profité, grignotant des preparaciones et buvant des bières ou des coca con limón sur les terrasses animées de la place, au milieu des jeunes aux habits traditionnels blancs et rouges. Exténués mais heureux, nous sommes rentrés au refuge vers minuit … pour nous réveiller ce matin à 9 heures !

Voilà pourquoi aujourd’hui nous n’avons commencé à marcher que très tard. Les autres sont devant moi, ce qui me permet de parler à haute voix plus librement, sans qu’ils m’entendent et sans les gêner par mon soliloque monocorde. Je ne sais pas ce qu’il en est pour eux mais pour moi le chemin commence à être long, j’ai hâte d’être au bout. Certes nous avançons, nous sommes maintenant à plus de la moitié de la distance Burgos – Santiago, il nous reste une demi-douzaine d’étapes à franchir, je suis donc bien dans les temps prévus de ce long pèlerinage commencé le 1er mai.

Je l’ai déjà dit, cette partie espagnole du Chemin de Compostelle a été toute différente de la partie française. Ici c’est une procession de pèlerins, sac au dos, cheminant et chenillant les uns derrière les autres, se dépassant les uns les autres, se retrouvant, se séparant, se retrouvant un peu plus loin, quoique la plupart du temps on ne se rattrape guère car chacun allant à son rythme, les plus rapides dépassent les plus lents et se font dépasser par d’autres plus rapides. Aussi ne sommes-nous que quelques-uns à nous être régulièrement retrouvés en début ou en fin d’étape, quand nous ne marchions pas carrément ensemble.

C’est ainsi que le viejo, le boiteux et les trois grâces, qui marchons maintenant presque toujours ensemble, avons retrouvé José et Pedro et les deux allemands perdus depuis plusieurs jours.

La Castille et ses plaines immenses et désertes est à présent derrière nous. Le ciel est couvert, il a même plu hier soir et un peu ce matin, aussi ne fait-il pas trop chaud, pour une fois.

Et le relief s’accentue, il va falloir bientôt monter de plusieurs centaines de mètres en altitude mais pour l’instant nous suivons sans effort une piste bien tracée, bordée de champs et de terres en friche.

Je n’aurais pas dû danser hier soir, ma cheville est toute enflée et je me suis remis à boiter, mais avec la chevillière élastique que je porte depuis 3 jours, ça ne me fait pas trop mal. Quant à mon genou gauche, je le sens toujours un peu mais pas trop.

Je ne me sens pas très frais aujourd’hui. Je n’irai sans doute pas très loin, peut-être ne ferai-je qu’une demi-étape si le refuge situé à Rabanal del Camino est correct. Demain, j’essaierai d’aller jusqu’à Ponferrada, ce qui me fera rattraper le morceau escamoté aujourd’hui.

Désormais, je me laisse un peu aller au gré des circonstances car je sais que je ne méditerai plus guère au cours des prochaines étapes, sur la condition humaine en général et la mienne en particulier. Car sur ce parcours, il s’agit plus de randonnée sportive que de retraite pieuse. J’ai cependant bien apprécié les quelques belles choses que j’ai vues en cours de route, comme à Astorga ce matin.

Le palais épiscopal d’Astorga de l’architecte Gaudí est absolument surprenant. Copie surréaliste conforme d’une cathédrale à niches, tours, tourelles, escaliers en colimaçon, salles immenses qui servent aujourd’hui de musée et d’exposition aux magnifiques collections de statues de bois de saints et saintes, de Jésus et de Marie de tout calibre récoltés dans les églises des environs ; de candélabres en or ou argent massif, d’ostensoirs, de croix, etc. Il y a même en sous-sol une partie romaine composée de stèles, de monnaies, de poteries et de bijoux.

Au dernier étage, d’où l’on domine le centre de cette gracieuse petite ville d’Astorga, des galeries de peintures de toute époque, dont quelques-unes très intéressantes.

À l’entrée une grande statue de Saint-Jacques assis, un livre sur les genoux, son bourdon à la main, qui semble nous inviter à la patience et à l’humilité.

Premier vrai petit déjeuner français depuis longtemps ce matin au restaurant de l’hôtel Osiris situé en face du palais épiscopal : toasts, beurre, confiture, café au lait. Ce n’était pas donné, mais tout compte fait pas si cher en Francs, du coup j’ai payé pour nous cinq avec ma carte bleue. Je leur devais bien ça à mes compagnons de voyage qui souvent m’offrent des boissons et spécialités régionales qu’ils achètent en cours de route.

Ils sont très gentils avec moi et semblent ne pas vouloir me lâcher. C’est plutôt moi qui ai envie parfois de m’éloigner un peu pour me retrouver seul quelque temps, surtout quand ils se mettent à parler à toute vitesse un espagnol que ne comprends plus. Bien que cela soit aussi agréable d’être en bonne compagnie dans un pays étranger.

Mais j’étais quand même bien content de marcher seul hier et avant-hier.

Ce matin ça ne va vraiment pas fort. Je marche comme un zombie, mes jambes sont lourdes et en flanelle, mon sac à l’air de peser le double de son poids habituel ou presque. Je ne sais pas ce que j’ai mais je ne suis pas comme d’habitude. Peut-être ai-je abusé de mes dernières forces hier soir à la fiesta ! En tout cas j’ai bien l’impression d’être en train de marcher sur mes réserves, et d’avantages par les nerfs que par les muscles qui eux m’appellent de leurs douleurs particulières successives.

Elle était bien agréable cette petite pluie qui vient de s’arrêter. Mais le soleil réapparu d’entre les nuages ne restera pas longtemps car le ciel est encore bien couvert, surtout à l’horizon bien noir.

Je voulais m’arrêter au village de Santa Catalina de Somoza pour manger, d’autant plus que de braves riverains nous avaient gentiment offert de nous rafraîchir à leur robinet. Mais une fois de plus, j’ai suivi l’avis général qui préférait aller jusqu’à El Ganso, 3 km plus loin. D’accord mais pas plus !

Il n’y a plus de cultures par ici, seulement quelques pâturages et bosquets sur des parcelles brûlées. Paysage pauvre et bien aride. Au loin une ligne de crêtes couverte d’arbrisseaux et la montagne au-delà. On se croirait sur le Causse bien que ce ne soit pas aussi plat.

Mais qu’ont-ils donc à marcher si vite devant ? Il est vrai que nos trois jeunes filles n’ont pas beaucoup marché hier, ayant pratiquement tout le trajet entre Hospital de Órbigo et Astorga en auto-stop, alors que Jaime et moi avons tout de même marché plusieurs kilomètres sur cette route surchauffée au cours d’une digestion difficile. Mais ce matin il a l’air de mieux aller que moi qui ai du mal à me remettre sur la bonne voie.

On marche à présent sur le bas-côté de la route où le sentier est à peine marqué dans l’herbe rase et nos pieds foulent le thym. Dieu que ça sent bon ! J’en ai marre de la route goudronnée, même si elle n’est pas très fréquentée. Mes plantes de pieds commencent à chauffer et me font mal à force de marcher sur une surface dure et plane. AU moins le sentier bosselé me permet de bouger davantage les orteils et d’éviter ainsi d’attraper des ampoules. Pour l’instant je n’en ai pas, j’ai de la chance.

Une croix de bois un peu penchée, que quelqu’un a essayé de consolider avec des pierres, se dresse là depuis sans doute plusieurs dizaines d’années, fidèle au poste auquel on l’avait assignée. Un peu plus loin, une croix en fer, plus récente bien que rouillée, agrémentée d’un coquille Saint-Jacques, est solidement plantée au bord de la route. Elle n’est pas aussi élégante bien sûr que sa sœur en bois qui nous regarde timidement de l’autre côté au milieu des herbes sauvages.

Le village d’El Ganso ne doit plus être loin à présent. On ne le voit toujours pas mais j’aurai peut-être la surprise, derrière le prochain virage, de découvrir un clocher et quelques toits. Car j’ai vraiment besoin de m’arrêter et j’ai lu un écriteau indiquant la présence d’un bar et d’une tienda. Agréable perspective de boire une bonne bière fraîche et de manger un morceau de pain et de saucisson.

Ah, les voilà ces toits ! Encore un peu loin mais bien visibles.

Mon sac est mal foutu, il a des bosses dans le dos. J’ai dû mal remettre en place tout ce qu’il contient ce matin, il faudra que je regarde cela de plus près tout à l’heure. Jusque-là, je l’ai porté sans trop de mal mais ce matin il s’est alourdi des provisions que j’ai achetées pour ce soir, car il n’y aura vraisemblablement pas de restaurant à la prochaine étape.

Décidément, je n’avance pas ce matin, c’est à peine si je fais un petit 4 km/heure. C’est dans ces moments où ça ne carbure pas qu’on ressent partout des douleurs, comme si toutes les parties meurtries qui s’étaient tues jusque-là se réveillaient soudain et appelaient toutes en même temps au secours. Elles aimeraient qu’on s’occupe un peu plus d’elles, alors elles profitent de la moindre faiblesse du pouvoir central pour exprimer leur mécontentement. Un vrai concert d’imprécations ! C’est la grève générale qui ralentit la machine et la menace de paralysie complète.

Mes muscles sont en train de freiner la marche de mon entreprise, il va falloir que je mette un peu d’huile dans les rouages et que je leur offre peut-être une petite augmentation – de temps de repos et de calories – car il faut bien admettre que je les ai un peu négligés ces derniers temps. En attendant, un ou deux bonbons vitaminés devraient les calmer. Quand je m’arrêterai, ils ne rouspéteront que pour la forme et puis se reposeront sans rechigner. El Ganso n’est finalement qu’un pauvre village avec quelques maisons en ruines et les autres à peine debout sous leur pesant toit de chaume (voix de femmes et d’enfants).

Je suis à Rabanal del Camino entre Astorga et Ponferrada mais avant El Acebo de San Miguel. Le gîte sans lit et sans matelas me pousse à demander une habitación au bar d’en face. La chance m’a souri. Étant le premier arrivé, j’ai obtenu la chambre du fils parti à l’armée. Sa photo en beau costume militaire tout neuf est là contre la tapisserie à fleur, en face de moi. Mon lit d’une place et demie me semble très confortable quand je songe à la vingtaine de pèlerins entassés dans la grange d’à côté, à même le sol, dans une promiscuité qu’il m’aurait été de toute manière impossible d’accepter ce soir, même avec des lits pour chacun. L’odeur des pieds, la chaleur humaine devenue animale, les pets et les ronflements, ne m’auraient certainement pas permis de me reposer aussi bien qu’ici.

Je me sens tout à coup beaucoup mieux dans ce monde plus habité des étapes sédentaires. Le milieu des jeunes en vadrouille m’énerve parfois. Ils parlent trop de leurs avatars et de ceux de la route – les mêmes en fait –, de l’étape passée et de la suivante, d’où ils viennent et où ils vont, sans beaucoup approfondir le côté culturel et spirituel du pèlerinage qui semble être pour eux plus une épreuve sportive qu’une véritable expérience personnelle de méditation intérieure. Bien sûr, il y a des exceptions.

Un couple français en particulier, avec qui j’ai mangé tout à l’heure une bonne tortilla aux pommes de terre et qui font le chemin depuis Le Puy. Si j’ai bien compris, c’est leur première aventure. Ils en sont très satisfaits bien que très fatigués, comme nous tous. Douleurs des cuisses et des genoux et tutti quanti.

Il y a aussi quelques fanatiques inconscients comme ces deux petits jeunes de moins de 20 ans partis eux aussi du Puy, voulant à tout prix forcer l’allure malgré leur fatigue et à cause de cela complètement démoralisés.

Et puis cette jeune fille française qui fait une étude pour le CNRS sur les influences telluriques des anciens lieux celtiques et qui se dit presque la descendante – spirituelle – de Gurdjieff, pourvue de pouvoirs captateurs exceptionnels. Une suissesse à l’accent douloureux l’accompagne tout en se plaignant de ce chemin, pressée de rentrer chez elle dans son appartement qu’elle regrette d’avoir quitté. Elle marche le plus vite possible pour en finir une bonne fois avec cette épreuve qu’elle n’apprécie plus du tout. Mais subjuguée par sa compagne très instruite des capacités druidiques, elle s’est jointe à elle dans ses recherches de vérité absolue révélées avec beaucoup d’ardeur.

Il y a comme cela quelques «místicos» comme les nomme avec humour Jaime en se moquant d’elles. Au moins, avec lui et nos trois compagnes de Logroño je ne risque pas de sombrer dans le vaudou. Ils n’ont vraiment rien de mystiques, mes amis d’aventure, ils aiment rire, boire et manger, tout en sachant aussi parler art et littérature, surtout Esperanza, la plus cultivée et la plus sage du groupe. Mais quand ils visitent une église, j’ai toujours un peu l’impression que c’est pour la forme.

Je suis content de pouvoir de temps en temps me séparer de toute cette marmaille jeune et bruyante, bien gentille de m’accepter parmi eux avec indulgence sans me donner l’impression d’être un vieux. Mais moi je sens tout de même la différence et j’ai besoin par moments de retourner à mes propres fourneaux.

Un orage ayant soudain éteint la lumière, vite remplacée par quelques chandelles, je me sens pèlerin du Moyen Âge ayant fait étape dans une auberge de village, dans la salle commune bruyante et animée, entouré de voyageurs en train de raconter leur aventure. Rires, chansons, histoires, filles de la patronne, amis et voisins, voyageurs, étrangers, petite tour de Babel anodine plongée dans l’instant révélateur du melting pot humain sans cesse remué et jamais bien mélangé.

Et moi, ce pèlerin tout seul venant de très loin, de la Francia, ce peregrino francés qu’on observe plus que les autres parce que venant d’ailleurs et autrement, qui porte un regard différent et qui se tait. On lui a offert la chambre du fils parti aux croisades et sa sœur, naturellement la plus belle fille de la maison, s’est occupée de lui avec beaucoup de naïve attention. Peut-être cette nuit rêveront-ils ensemble sous les poutres du grenier.

Il devait y avoir beaucoup de bâtards à cette époque, enfants de pèlerins de passage élevés à l’ombre des estaminets, conçus de l’épreuve faillie entre deux belles prières … Mais je n’en ai pas vu figurer aux registres d’état civil consultés. Je n’avais pas le bon code d’accès des secrets de l’histoire.

Dans certains villages perdus en retrait du chemin passager, là où cependant passaient souvent autrefois des voyageurs égarés, on trouve encore l’accueil traditionnel des amis de Saint-Jacques, qui spontanément adressent un salut fraternel au pèlerin d’occasion, tels ces vieux assis sur un banc de pierre tout près de leur maison et qui ne semblent être là que pour indiquer le chemin à celui qui ne le connaît pas.

Il suffit qu’on nous voie hésiter à la sortie d’un village pour que j’entende : «Oh ! el camino es por aquí… no no, por allá «avant même d’avoir besoin de le demander. Il y a toujours un gamin pour nous dire où aller et nous accompagner un bout de chemin s’il le faut.

Renseigner les pèlerins traversant leur village est devenu au fil des générations une activité habituelle sinon quotidienne. Et comme il ne se passe pas grand-chose dans ces villages trop paisibles, chacun se saisi de l’événement fortuit pour briser la routine. Et puis, qui sait, l’étranger de passage est peut-être puissant et riche, il va peut-être apporter prospérité et privilège, spirituel ou mercantile, sacerdotal ou commercial.

Beaucoup de ces villages sont très pauvres : quelques masures en mauvais état, des brebis, une ou deux vaches et une poignée de paysans vivant encore sous des toits de chaume ou à l’abri de tuiles romaines jamais remplacées. Mais l’église est toujours là, parfois amputée de moitié avec son clocher qui sonne encore l’heure pour les enfants de l’école et les âmes croyantes. Des chiens et quelques chats sur la place où tout le monde se retrouve le soir à la fraîche autour de la fontaine sur des bancs de fortune.

Seule la TV semble avoir quelque peu déplacé les sujets de conversation habituels en leur montrant un monde lointain qui n’a pas l’air de leur appartenir.

Me voilà donc dans cette chambre d’hôte, avec une poupée en guise d’autrui, assise dans un coin sur la table de nuit, en face d’une toujours trop grande et trop haute armoire à glace qui encombre, une minuscule fenêtre qu’on ferme par un clou et une lampe de chevet qui ressemble à une lampe à pétrole. Et le lit bien sûr qui pourrait accueillir avec moi la plus appétissante des filles de la maison, libérée de son service ménager. Je m’en vais profiter de cette couche silencieuse et moelleuse aux draps épais pour reposer benoîtement ma vieille carcasse déglinguée en espérant que demain elle aura retrouvé sa forme initiale. Bonne nuit donc et réveil à 6 heures … en principe. La patronne m’a dit qu’elle se levait à cette heure-là. Je veux bien la croire car jusqu’à présent je n’ai jamais vu personne dehors à cette heure. Mais peut-être que les gens se lèvent plus tôt et n’entrouvrent leur porte que plus tard.

Buenas noches, hasta mañana.

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