Mercredi 16 mai 1990

Propos échangés avec un «indigène» rencontré peu après mon altercation avec les gendarmes de Nolay :

  • […] les gendarmes de Nolay, en train de chercher la camelote, ah ben, ils ont passé par-dessus le toit, y se sont cassé la gueule dans le bas, dans l’magasin, ah ben y z’ont fait fort, hein, ah c’étaient des artistes …
  • Et alors elle a fait combien de prison votre femme ?
  • Ah, j’sais pas. Ils l’ont pas seul’ment condam¬née encore !
  • Elle va sortir quand même ?
  • Ah voui, voui, j’ai été voir mon avocat, j’y ai dit, faut quand même arranger ça, c’est trop bête.
  • C’est à cause de gens comme vous qu’on m’arrête sur la route, on me prend pour un gangster (rires).
  • C’est pas pour autant qu’une personne est sur la route qu’c’est l’voyou, hein ? Ben non, comme je leur ai dit…
  • S’ils vous ont arrêté, c’est qu’ils voulaient savoir qui vous êtes.
  • Mais non, moi y m’arrêtent pas, y m’disent bonjour, moi, et puis y m’laissent tran¬quille, moi.
  • Parce qu’ils vous connaissent, vous êtes du coin.
  • Mais oui, … mais non, les gendarmes de Pouilly, y m’arrêtent pas, moi, mais non y m’arrêtent pas, y m’arrêtent pas. J’avais un copain … une histoire de logement quoi. Y m’dit : où c’est q’tu vas, toi ? Ah, je dis, je rentre dans mon appartement. Ben si tu veux coucher là une nuit chez moi. J’ai dit non, il est divorcé lui, y s’est marié, pis après y s’est remarié, pis il a laissé la femme en plan quoi, vous voyez le boulot, quoi. Oh vous savez…
  • Oui, et moi, parce que je marchais, ils m’ont considéré sans domicile fixe, quoi !…
  • Ah oui…
  • Mais moi j’habite à Paris, je leur ai dit.
  • Ah ben on n’est pas sensé le savoir.
  • Ben oui, c’est quand même mieux de mar¬cher où on veut
  • Ah ben oui, avant tout le monde marchait, maintenant ceux qui marchent…
  • Maintenant on est pris pour des cons, quoi, maintenant on est pris pour des cons. Comme moi, je leur ai dit : j’en ai rien à fêter moi. Mais y a qui sont passés du côté près d’Arnay-le-Duc là-bas, ben de temps en temps, j’prends mon p’tit sac et pis j’vais voir mes gamins, j’suis ben libre. Eh, on est quand même libre d’aller où c’est qu’on veut.
  • Encore heureux…
  • Ben demain, j’vais m’lever d’bon’heure, pis là j’vais à Dijon.
  • Vous marchez beaucoup, alors ?
  • Eh, obligé, obligé…
  • Il fait beau maintenant, c’est bien de mar¬cher, on voit des tas de choses, on ren¬contre des gens.
  • Oui mais là, comme que je leur ai dit, moi, mais qu’ils comprennent : quand tu marches l’long d’la route, t’as l’temps d’regarder la nature, et en bagnole, y sont là tous le cul dans une voiture, y roulent à des vitesses, 110, 120…
  • C’est tout juste s’ils ne nous considèrent pas comme des intrus, nous sur la route.
  • Ben oui…
  • Je vous assure, ce serait une vache ou un tracteur, ils feraient plus attention.
  • Ah oui oui, ah oui.
  • Dès qu’on est un peu comme ça, là – pas tout au bord – ils ont l’air de nous dire : qu’est-ce que vous faites là ?
  • Ben oui, un être humain on est quand même, on est en France. Non mais j’leur dit : arrêtez les gens qui font du mal, hein ? Mais les gens…
  • Oui, bien sûr, mais ils m’ont dit : on ne peut pas savoir à l’avance
  • On peut pas savoir.
  • Ils m’ont dit : vous, vous faites confiance à tout le monde ? Alors je leur ai dit : Oui moi, a priori, je fais confiance. Et vous a priori vous ne faites pas confiance, c’est toute la différence. (rires)
  • Et la différence, elle est là, hein !
  • Bon, enfin, eux sont là pour la sécurité, mais ils pourraient avoir un peu plus de…
  • De jugeote, quoi, de jugeote. Quand j’étais démarré à 2 heures du matin que j’voulais ach’ter une maison à Pouilly, hein, ah qu’est-c’que je vois, moi, on était deux le long d’la route et pis y faisait noir mais j’avais ma pile électrique, enfin c’étaient les flics de Nolay, y z’allaient du côté d’Arnay, ben quand y m’ont vu, y m’ont pas r’connu, y faisait noir, y z’ont foutu le bor¬del, tu sais le machin bleu au-dessus, ah j’dis, ben alors on est pas dans la merde. Ah mais laisse-les descendre, on verra après quoi. – Ah ben merde c’est toi, mais qu’est c’qu’tu fais là dehors à c’t’heure-ci ? – Ah ben j’vais à Pouilly chez l’notaire – Ah v’là qui m’a dit : À 2 heures du matin ? – Faut qu’j’arrive à 9 heures à Pouilly, en marchant tranquillement, j’ai pris la piste quoi, la piste d’Arnay, la gendarmerie d’Pouilly hein, sur la gauche directement Pouilly, ah ben j’connais aussi ma route moi, mais j’ai tellement fait de chemin aussi que j’ai l’habitude, c’est pas avec nous qui faut pas croire, non mais oh !
  • À moi ils ont dit : Vous savez, les globe-trotters, quand on les arrête, souvent ils ne sont pas en règle. J’ai dit : Oui mais si moi j’avais quelque chose à me reprocher, vous croyez que je me promènerais avec un gros sac, sur une route, l’allure un peu bizarre ? Je serais sûr de me faire repérer tout de suite. Alors je prendrais plutôt le train ou j’irais à pied, mais sans sac, l’air de rien et vous ne m’arrêteriez pas. Alors ils n’ont plus su quoi dire.
  • Et oui…
  • Alors je leur ai demandé de me faire un papier, comme ça quand je serai contrôlé, si je le leur montre, …
  • Vous avez le papier ?
  • Oui… parce que ma carte d’identité je l’ai bien, mais elle est dans mon sac, je ne veux pas la perdre, alors je suis obligé chaque fois de poser mon sac, de chercher dedans, c’est emmerdant.
  • Ah oui, et ça c’est quoi ça ?
  • Ça c’est pour compter les kilomètres.
  • Ah vous comptez les kilomètres qu’vous avez dans l’cul ?
  • Mais c’est pas tellement juste, ça donne juste une idée, quoi.
  • Bon, allez, j’me sauve… Vous, vous êtes presque arrivé.
  • Oh non, parce qu’après Nolay, je vais voir mes neveux dans les Cévennes, alors je vais marcher jusque-là, tout doucement.
  • C’est joli les coins par ici, hein ?
  • Oh oui, la Bourgogne moi, j’aime beau¬coup.
  • Ah la Bourgogne, oui elle est belle, la Bour¬gogne.
  • Et puis il y a des tas de choses qu’on voit à pied et qu’on ne voit pas en voiture
  • Mais non, c’est pour ça que les gens y compren¬nent pas ça eux. Eux les parisiens eux, y viennent dans l’bourg, y poseraient la voiture dans un endroit, hein…
  • Mais oui, ils n’aiment pas marcher.
  • Mais non, y z’aiment plus marcher, y sont là, bloqués dans une bagnole, y s’tuent dans une voiture mais nous on va vivre longtemps parc’qu’on va pas s’tuer en voiture (rires) ?
  • C’est vrai. Bon, allez j’me sauve, bonne route.
  • Oui, vous aussi hein !

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